Lien de l'article publié au Huffington Post : http://www.huffpostmaghreb.com/meriem-h-hamou/messieurs-les-chefs-de-partis-politiques-noubliez-pas-les-femmes_b_15703524.html?utm_hp_ref=maroc
Messieurs,
Permettez-moi de vous envoyer cette lettre de la
dernière chance, puisque nous semblons nous diriger vers un gouvernement formé
par vos honorables partis politiques, pour vous exhorter à ne pas oublier plus
de la moitié de la population de notre beau pays.
Est-il permis d’espérer une meilleure
représentativité de la femme dans le prochain gouvernement, ou allons-nous
encore enterrer le dévouement et les ambitions de plus de la moitié de la
population, qui compose notre société, sous des prétextes fallacieux ?
Ma question part du postulat que nous avons vu
notre chef de gouvernement, nouvellement nommé, entreprendre des pourparlers
avec toutes les formations politiques, que notre pays possède, comme il l’a lui-même
affirmé. Il a adressé des invitations aux partis représentés au parlement, et a
"oublié" une chef de parti,
certes avec deux représentants seulement, mais il n’empêche, c’est la seule femme
que nous possédons sur notre scène politique. Notre crainte est donc justifiée
que vous ne versiez dans le même sens, et que ce scénario ne se répète au sein
même de vos partis. Surtout lorsque l’on sait qu’aucun de vous, membres de la
coalition, n’a cru bon de faire participer des femmes au stade des négociations
déjà.
Messieurs,
Vous n’êtes pas sans savoir que les droits des
femmes ont beaucoup reculé ces dernières années. Est-il nécessaire de rappeler
qu’on a été invitées à rentrer dans nos foyers afin d’en être les lustres ? Et
que la ministre qui représente les droits des femmes est membre du parti le
plus conservateur ? N’y voyez-vous pas une contradiction avec les idées
libérales que devrait prôner ce genre de fonction, et un recul de nos libertés
individuelles ?
Une femme qui se contraint religieusement ne peut
nous représenter. Loin de stigmatiser celles qui portent le voile, ou un
quelconque reproche personnel que je peux lui faire, je considère que ce genre
de convictions doit être du domaine du privé. Et bien que je respecte celles
qui voudraient se conformer aux préceptes auxquelles elles croient, leurs
sensibilités religieuses ne devraient pas interférer dans le domaine public, et
encore moins dans celui de la représentation politique.
Afin de rester dans l’esprit de cette lettre
ouverte et ne parler que des droits des femmes, d’autres progrès notoires ont
été bafoués et le sont encore tous les jours. Et pour et ne citer qu’un exemple
concret : le nombre de plus en plus important chaque année de femmes
contraintes à la polygamie, par non-conformation à l’article 42 de la
Moudawana de 2004.
Sans parler de celles qui se font agresser tous
les jours par leurs maris afin qu’elles signent l’autorisation qui leur permet
de se remarier, l’article 16 de cette même Moudawana, qui devait
constituer l’exception pour enregistrer les mariages qui se faisaient dans les
régions reculées par la simple Fatiha, a été détourné de sa fonction pour
devenir la règle, lorsqu’un homme veut devenir polygame. En effet, il lui
suffit d’avoir des enfants de sa maîtresse, ou seulement de la faire tomber
enceinte, pour que les juges outrepassent la procédure normale (c. à. d
l’article 42) et déclarent le mariage valide. Faisant cela, ils envoient
une simple notification pour seulement information à la première épousée. Le
divorce ne constitue donc plus un droit pour la première épouse lésée, et
relève alors de l’appréciation du juge, qui peut ne pas l’accorder, en l’occurrence.
L’abrogation de cet article 16, qui devait à l’origine avoir une durée de
validité de cinq ans, a été prolongée de cinq nouvelles années en 2014.
Messieurs,
Vous n’êtes pas sans savoir que la femme est aussi
intelligente et aussi compétente que l’homme. Faut-il rappeler que nos Marocaines
se distinguent dans tous les domaines, que ce soit celui de la recherche
scientifique, celui de la finance, ou encore de l’industrie, la culture et même
de l’administration. Citons seulement l’exemple du chef du patronat marocain. Elles
sont cependant sous représentées au sein des bureaux de vos partis politiques,
malgré leurs compétences prouvées et leur nombre, de plus en plus croissant,
dans les rangs de vos militants. Votre prédominance ne leur laisse pas la
possibilité d’accéder à de plus hautes fonctions, et elles sont paradoxalement
mises à l’ombre malgré les efforts et le travail incroyable qu’elles
fournissent. Certes, quelques partis font des efforts pour les mettre en avant,
mais c’est seulement afin de remplir l’obligation que vous avez d’en présenter lors
des campagnes électorales.
Est-il nécessaire de rappeler enfin que l’un des
principaux indicateurs de développement et de progrès d’un pays réside dans la
représentation des femmes aux plus hauts postes de responsabilité ?
Et alors que nos princesses sont nos meilleures
ambassadrices et s’échinent à donner l’exemple par leur engagement dans le cadre
culturel, caritatif et associatif, faisant tout pour refléter une image moderne
d’ouverture et d’égalité de notre pays, nos femmes du champ politique, qui sont
militantes et dévouées pourtant, sont pratiquement inexistantes dans les plus
hauts postes de responsabilité politique.
Pour notre part, nous ne demandons pas encore la
parfaite parité dans la distribution du portefeuille, mais au moins que notre
représentation soit plus visible, qu’elle accède au pourcentage minimum de 30 %.
Que nous nous sentions citoyennes à part entière, avec un courant nationaliste glissant
dans nos veines, et représentées par de vraies militantes, et non des personnes
choisies au hasard dans la société civile, comme c’est si souvent le cas, en
donnant quelques petits postes ou Secrétariats d’État, afin de croquer une
image, fallacieuse par essence, du progrès de notre pays.
Messieurs les chefs des partis de la coalition, et
vous Monsieur le Chef de notre gouvernement,
J’ai du respect pour vos personnes et les partis
que vous représentez, et beaucoup d’ambition pour mon pays, veuillez alors
pardonner mon franc parlé. Et si je prends la liberté de vous faire part de mon
sentiment, c’est seulement parce que je voudrais le voir entrer de plain-pied
dans le grand concert des nations. Je peux en parler d’autant plus sereinement,
que mon appel n’est motivé de la moindre velléité d’ambition de poste
quelconque, ni personnel ni pour mes proches. Je suis une simple citoyenne, ne
possédant aucune étiquette politique, et engagée seulement civilement.
Vos rangs sont riches de femmes de grande expertise
et de valeur indéniable, et vous avez l’obligation éthique d’abord et même constitutionnelle
de les mettre en avant. Pas seulement pour les petits postes tels que les Secrétariats
d’État ou Sous-Secrétariats à la femme, logement ou famille, mais également
dans d’autres ministères plus importants, tels que l’Éducation, le Commerce et
l’Industrie, la Finance, la Justice et bien d’autres encore…
Ce n’est pas un hommage que je vous demande de
leur rendre, c’est une question d’équité, d’égalité des chances, de droits de l’homme.
Faites-les remonter par l’ascenseur, et faites-nous entrer enfin au 21ème siècle.
Il y va de notre crédibilité en tant que pays qui veut rivaliser avec les
autres nations, et qui se prétend sur la voie de la modernité et des droits
internationaux.
De grâce, faites-le ! Il serait dommage de rater
encore ce rendez-vous avec l’histoire, de vous priver, et de nous priver, de
ces excellentes compétences.