Elles étaient quatre générations de femmes à avoir
franchi la porte de la pharmacie ce jour-là :
La grand-mère, un haïk bariolé autour d’un kmis,
portait son foulard avec un petit nœud à l’arrière, quatre points devenus gris étaient
le tatouage qu’elle avait entre les sourcils. Un œil mort, et l’autre éteint,
elle s’était assise sur un des sièges visiteurs.
La mère, la soixante ou peu s’en faut, en djellaba
et châle sur la tête, s’était avancée au comptoir. La cicatrice qui coupait la
hauteur de son menton trahissait le tatouage camouflé, la génération qui était
venue en ville, et s’était adaptée jusqu’à vouloir cacher ses origines.
La jeune femme, dans la fleur de l’âge, couverte
de tête en cape d’un tchador noir. Des seuls yeux qu’on voyait, elle avait
étreint le désespoir.
La petite fille, dans les dix ans, espiègle et
souriante, alors qu’elle était la malade.
La jeune femme s’était échouée à côté de sa
grand-mère, laissant sa fille courir dans tous les sens, pendant que sa mère payait les médicaments, et écoutait les explications qu’on lui livrait sur la façon de
les administrer à sa petite-fille. Elle, silencieuse, ne prenait parti à rien,
elle semblait perdue dans ses songes, n’être là que par acquit de conscience.
Une génération mal lettrée, sacrifiée, les pieds entre deux horizons,
et qui se laisse mener par la raison du plus fort.
De ces trois premières générations, on ne voyait plus que l’intense fatigue, mais la plus marquée, celle dont le front et les joues étaient barrés de profonds sillons, était la mère. Elle semblait harassée par le poids des responsabilités, elle prenait en charge toute sa famille, aussi bien son ascendance que sa descendance. Cependant, un reste de résistance et de courage la faisait tenir debout. Et on se désole qu’elle n’ait pu les transmettre à sa fille.
Trois femmes au destin différent, mais qui se
ressemblaient dans l’épuisement qui faisait plier leurs épaules. Le temps les
avait abîmées, jusqu’à ne laisser aucune brillance dans leurs pupilles. Leurs
peaux, vieillies avant l’âge, dégageaient cette odeur âpre, acidulée, de celles
qui se sont adonnées à toutes sortes de travaux pénibles.
Enfin, il y avait l’espoir dans ce tableau :
celui d’une petite fille dont les yeux brillaient d’intelligence. Elle va à
l’école et aime les découvertes. Et on se prend à lui souhaiter de meilleurs
augures, que la lumière qui l’habite encore ne s’éteigne jamais, de rêver que
son destin soit meilleur.
La petite fille s’appelle Hourya. Tout un symbole.
Un prénom, que j’espère elle portera avec fierté. Un joli prénom qui revient à
la mode.
(Pour mes amis francophones : Hourya en arabe veut dire liberté)
(Pour mes amis francophones : Hourya en arabe veut dire liberté)