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Artisan orfèvre des mots Spécialisée en filigrane.

mardi 25 juillet 2017

Oeil sur une filiation



Elles étaient quatre générations de femmes à avoir franchi la porte de la pharmacie ce jour-là :
La grand-mère, un haïk bariolé autour d’un kmis, portait son foulard avec un petit nœud à l’arrière, quatre points devenus gris étaient le tatouage qu’elle avait entre les sourcils. Un œil mort, et l’autre éteint, elle s’était assise sur un des sièges visiteurs.
La mère, la soixante ou peu s’en faut, en djellaba et châle sur la tête, s’était avancée au comptoir. La cicatrice qui coupait la hauteur de son menton trahissait le tatouage camouflé, la génération qui était venue en ville, et s’était adaptée jusqu’à vouloir cacher ses origines.
La jeune femme, dans la fleur de l’âge, couverte de tête en cape d’un tchador noir. Des seuls yeux qu’on voyait, elle avait étreint le désespoir.
La petite fille, dans les dix ans, espiègle et souriante, alors qu’elle était la malade.

La jeune femme s’était échouée à côté de sa grand-mère, laissant sa fille courir dans tous les sens, pendant que sa mère payait les médicaments, et écoutait les explications qu’on lui livrait sur la façon de les administrer à sa petite-fille. Elle, silencieuse, ne prenait parti à rien, elle semblait perdue dans ses songes, n’être là que par acquit de conscience. Une génération mal lettrée, sacrifiée, les pieds entre deux horizons, et qui se laisse mener par la raison du plus fort.
De ces trois premières générations, on ne voyait plus que l’intense fatigue, mais la plus marquée, celle dont le front et les joues étaient barrés de profonds sillons, était la mère. Elle semblait harassée par le poids des responsabilités, elle prenait en charge toute sa famille, aussi bien son ascendance que sa descendance. Cependant, un reste de résistance et de courage la faisait tenir debout. Et on se désole qu’elle n’ait pu les transmettre à sa fille.
Trois femmes au destin différent, mais qui se ressemblaient dans l’épuisement qui faisait plier leurs épaules. Le temps les avait abîmées, jusqu’à ne laisser aucune brillance dans leurs pupilles. Leurs peaux, vieillies avant l’âge, dégageaient cette odeur âpre, acidulée, de celles qui se sont adonnées à toutes sortes de travaux pénibles.

Enfin, il y avait l’espoir dans ce tableau : celui d’une petite fille dont les yeux brillaient d’intelligence. Elle va à l’école et aime les découvertes. Et on se prend à lui souhaiter de meilleurs augures, que la lumière qui l’habite encore ne s’éteigne jamais, de rêver que son destin soit meilleur.
La petite fille s’appelle Hourya. Tout un symbole. Un prénom, que j’espère elle portera avec fierté. Un joli prénom qui revient à la mode.


(Pour mes amis francophones : Hourya en arabe veut dire liberté)