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Artisan orfèvre des mots Spécialisée en filigrane.

mercredi 19 avril 2017

Billet : Le réfugié


Un goût de sable mouillé, de sel et de soleil emplit sa bouche quand il ouvre les yeux.
Il n’est pas celui qui se prélasse sur une plage dorée de la méditerranée, mais l'un des rares rescapés des zodiacs de la mort.
Il crache non pour libérer ses bronches encombrées de l’eau saumâtre,
mais de l’horrible impression d’avoir ingurgité des particules vivantes.
Il se demande s’il pourra encore manger du poisson, engraissé de chair et de sang de ses frères dans la détresse.
Ces centaines de milliers qui ont sombré, s'étaient lancés comme lui, pour trouver un havre tranquille.
Pourchassés par la guerre, la famine et l’oppression, ils ont abandonné leurs terres, leurs frères et l’âme de leurs ancêtres.
Se sont enfouis pour échapper à l’enfer, pour garder la flamme de l’espoir, comme un dernier geste survivance…
Fuir pour frôler le sol d’un refuge, ils gisent comme des déchets, rejetés d’une vague à l’autre.
Fuir en oubliant que leurs pères avaient nourri cette même terre de leurs récoltes, de leurs sueurs, et des richesses de leurs entrailles.
Fuir dans l'amnésie de leur exploitation, et des manigances pour leur vendre des armes.
Fuir la faim, comme ultime offrande sur l’autel des sacrifices, pour nourrir les sbires, suppôts de Charon, les menus fretins, et même la faune aquatique.
Hébété encore, il en prend conscience et considère l'océan qui l’a régurgité, et cette fosse commune à ciel ouvert de débris humains qui jonche le sable. 
Il porte sa vue au loin, de l’autre côté de la rive, dépasse de son regard la mer de désolation qui le sépare d’elle désormais, et lance un cri qui sort du ventre de la Terre.
Un hurlement qui a traversé l'espace et le temps, connu de tous les peuples opprimés, obligés de fuir, pour mieux se jeter dans la gueule du loup.
Il a enfin compris, et pleure de consternation et d'impuissance.
Il a enfin compris, il n'y a de paix nulle part.

dimanche 16 avril 2017

Chronique : Un autre regard sur les dons




Mon billet est pour ces hommes et ces femmes dignes qui ne demandent pas la charité.
Ils n’ont que faire de notre condescendance, notre pitié et notre morale variable. Ils tracent leurs chemins, loin de nos tumultes, loin de nos mesquines préoccupations, et ont un seul et unique objectif : survivre et nourrir leurs familles.
Alors quand nous venons les voir, avec nos petits dons et nos aides temporaires, ils les acceptent, non parce qu’ils pensent que ça va changer leurs vies, mais pour nous rendre la politesse. Accepter les choses qui leur sont inutiles parfois, ils font ça pour nous faire plaisir. Ils ont cette générosité, cette noblesse de l’âme, qui les fait sourire et reluire la bonté dans leurs prunelles. Ils les prennent parce qu’ils savent que la joie la plus importante est celle de donner, ils les prennent, et je dirais presque, par compassion pour nous.
Car croyez-vous un instant que ce que vous offrez va transformer leurs vies ?
Croyez-vous qu’une fois partis, une fois les lumières éteintes, ils vont aller mieux ?
Aussitôt donné, aussitôt distribué et consommé. Eux qui n’ont rien, dans leur quotidien, partagent sans compter. Du quignon du pain qu’ils gagnent laborieusement, aux vêtements mille fois rapiécés qu’ils se passent de l’un à l’autre. Ils sont bien plus grands, bien plus dignes, bien plus généreux. Je le vois tous les jours à leurs comportements, à cette flamme qui s’allume quand l’un d’eux est encore plus dans le besoin, à ces plateaux de thé et aux simples galettes qu’ils offrent, si on prend juste la peine d’entendre leurs histoires.
Alors oui, ils sont nécessiteux et vivent dans la précarité. Mais la richesse de leur cœur excède très souvent la nôtre. Ils la partagent sans compter et en font bénéficier leurs voisins, leurs connaissances et tous ceux qu’ils croisent. Que serait la vie, que serions-nous, si cette bienveillance, cette solidarité, devait attendre nos rebuts, l’excès de nourriture de nos frigos, ou encore notre bon loisir ?
Doit-on pour autant les abandonner, les laisser soulever seuls leurs fardeaux, sans contribuer un tant soit peu à l’alléger ? Doit-on se montrer plus charitables ?
Je dirais que chacun trouvera sa réponse, celle relative au sentiment qui lui correspond le mieux, et que ce texte aura effleuré. Mais je remplacerai le mot faire un don par faire son devoir. Car ils nous le doivent, même s’ils ne réclament rien.
De leurs vies simples, et leurs croyances encore plus simples, ils ont cette conviction que leur souffrance sur terre sera allégée au ciel. Ils acceptent leurs destins comme une épreuve pour aspirer à rentrer au paradis.
Mais nous, qui avons eu la chance d’une naissance plus avantageuse, nous avons le devoir de nous montrer justes. De réclamer, de revendiquer afin d’améliorer leurs conditions de vie. De nous battre pour la décence de leurs logements, pour qu’on leur octroi les mêmes droits, que ceux dont nous jouissons. Et que le mouvement de solidarité soit national, pour qu’ils puissent au moins nourrir et vêtir, soigner et éduquer leurs enfants, aux mêmes standards de qualité que les nôtres.
Ils sont nos frères et sœurs, et l’âme de la société qui nous fait vivre. Nous avons autant besoin d’eux qu’ils ont besoin de nous. Les oublier, c’est pervertir le message de notre passage sur terre, nos propres aspirations, et notre conscience. Les oublier c’est perdre notre humanisme.
Les oublier surtout, c’est prendre le risque d’une vague de fond, d’un soulèvement, dont nous ne sortirons pas indemnes.