Mon billet est pour ces hommes et
ces femmes dignes qui ne demandent pas la charité.
Ils n’ont que faire de notre
condescendance, notre pitié et notre morale variable. Ils tracent leurs
chemins, loin de nos tumultes, loin de nos mesquines préoccupations, et ont un
seul et unique objectif : survivre et nourrir leurs familles.
Alors quand nous venons les voir,
avec nos petits dons et nos aides temporaires, ils les acceptent, non parce qu’ils
pensent que ça va changer leurs vies, mais pour nous rendre la politesse. Accepter
les choses qui leur sont inutiles parfois, ils font ça pour nous faire plaisir.
Ils ont cette générosité, cette noblesse de l’âme, qui les fait sourire et
reluire la bonté dans leurs prunelles. Ils les prennent parce qu’ils savent que
la joie la plus importante est celle de donner, ils les prennent, et je dirais
presque, par compassion pour nous.
Car croyez-vous un instant que ce
que vous offrez va transformer leurs vies ?
Croyez-vous qu’une fois partis,
une fois les lumières éteintes, ils vont aller mieux ?
Aussitôt donné, aussitôt distribué
et consommé. Eux qui n’ont rien, dans leur quotidien, partagent sans compter.
Du quignon du pain qu’ils gagnent laborieusement, aux vêtements mille fois
rapiécés qu’ils se passent de l’un à l’autre. Ils sont bien plus grands, bien
plus dignes, bien plus généreux. Je le vois tous les jours à leurs comportements,
à cette flamme qui s’allume quand l’un d’eux est encore plus dans le besoin, à
ces plateaux de thé et aux simples galettes qu’ils offrent, si on prend juste la
peine d’entendre leurs histoires.
Alors oui, ils sont nécessiteux
et vivent dans la précarité. Mais la richesse de leur cœur excède très souvent la
nôtre. Ils la partagent sans compter et en font bénéficier leurs voisins, leurs
connaissances et tous ceux qu’ils croisent. Que serait la vie, que serions-nous,
si cette bienveillance, cette solidarité, devait attendre nos rebuts, l’excès
de nourriture de nos frigos, ou encore notre bon loisir ?
Doit-on pour autant les abandonner,
les laisser soulever seuls leurs fardeaux, sans contribuer un tant soit peu à l’alléger ?
Doit-on se montrer plus charitables ?
Je dirais que chacun trouvera
sa réponse, celle relative au sentiment qui lui correspond le mieux, et que ce
texte aura effleuré. Mais je remplacerai le mot faire un don par faire son
devoir. Car ils nous le doivent, même s’ils ne réclament rien.
De leurs vies simples, et leurs croyances
encore plus simples, ils ont cette conviction que leur souffrance sur terre
sera allégée au ciel. Ils acceptent leurs destins comme une épreuve pour aspirer
à rentrer au paradis.
Mais nous, qui avons eu la chance
d’une naissance plus avantageuse, nous avons le devoir de nous montrer justes. De
réclamer, de revendiquer afin d’améliorer leurs conditions de vie. De nous
battre pour la décence de leurs logements, pour qu’on leur octroi les mêmes droits, que ceux dont nous jouissons. Et que le mouvement de solidarité soit national, pour
qu’ils puissent au moins nourrir et vêtir, soigner et éduquer leurs enfants, aux
mêmes standards de qualité que les nôtres.
Ils sont nos frères et sœurs, et l’âme
de la société qui nous fait vivre. Nous avons autant besoin d’eux qu’ils ont
besoin de nous. Les oublier, c’est pervertir le message de notre passage sur
terre, nos propres aspirations, et notre conscience. Les oublier c’est perdre
notre humanisme.
Les oublier surtout, c’est
prendre le risque d’une vague de fond, d’un soulèvement, dont nous ne sortirons
pas indemnes.

