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Artisan orfèvre des mots Spécialisée en filigrane.

mercredi 24 mai 2017

Plaidoirie pour mon innocence






En lettres de sang, j’écris ma consternation, ma condamnation et mon innocence. Je suis Manchester, Londres, Munich, Paris, Nice, Istanbul, Tunisie, Syrie, Bagdad, Indonésie, Casablanca, Marrakech et tant et tant de villes et de pays. Je suis tout ce que vous voudrez, si tant que vous ne me blâmez plus, que vous ne me mettez tout sur le dos.
Je suis cette mère de famille qui reçoit ces étrangers, amis de ses enfants, et qui se justifie et s'explique avant de s'éclipser pour faire ses prières, de crainte de les inquiéter. Je suis ce vieux musulman, résidant en France, qui rase les murs et baisse la tête quand il vient chercher sa pension d’ancien combattant. Je suis ce guide marocain qui rassure les touristes dès que l’Adaan se met à retentir. Je suis ces jeunes parents, habitant dans leur pays musulman pourtant, et qui donnent à leur enfant un prénom éloigné de leur culture, de peur qu'il n'ait à souffrir un jour d'ostracisme, qui seraient prêts à changer de nom, s'il le fallait, afin que leurs enfants ne soient victimes de racisme... 
Je me défends de pratiquer, ou de m’émouvoir de la solennité des prieurs pendant les tarawihs. Je trinque et fais semblant de boire pour montrer que je suis ouvert d’esprit. Je ris de toutes les mauvaises blagues sur ma religion, et me prétends non croyant. Je change même de croyance, alors que celle de ma naissance est inscrite sur mon visage.
Que dois-je faire pour vous satisfaire ? Pour vous faire taire ? Pour que vous ne fassiez plus l’amalgame ? Pour que vous arrêtiez de me critiquer ?
Je hais, encore plus que vous, tous ceux qui détournent ma religion, qui l’utilisent comme prétexte pour leurs crimes odieux. Ils ne sont pas moi, je les condamne et les voue aux géhennes, et à tous les enfers de toutes les religions. Je suis leur première cible, le nombre de mes coreligionnaires atteints de leur folie excède de très loin vos victimes. Ma voix s’enroue de cris et de pleurs pour toutes les victimes innocentes, les blessés et les traumatisés. Mon âme est en communion avec leur douleur, et celle de leurs familles et proches.
A l'encre indélébile, en lettres de feu, j’aimerais inscrire dans le ciel mon message de paix afin qu'il soit visible pour tous. Je tatouerais les mêmes sur ma peau découverte, si cela pouvait vous convaincre… 
Je n’ai pas honte d’être moi, mais de voir vos regards sceptiques et vos sursauts dès que je passe à côté de vous me donne envie de disparaître, de me terrer. Je suis né musulman, c’est inscrit dans mes gènes et mon sang, que j'offre régulièrement, et que je déverserais volontiers si cela pouvait vous consoler, vous soulager au moins… 
J'allume une bougie pour la paix et me brûle les doigts pour sentir votre douleur... Que puis-je faire de plus ?

jeudi 18 mai 2017

Chronique : L'attente


Le soleil décline sur la journée fade. Les lambeaux de nuées s’étirent, déchiquetés par le vent frais qui ne cesse de souffler. La grisaille envahit le paysage dans le spacieux bruit des arbres qui s’agitent en s’ébrouant. Ils sont là, à guetter de nouveau, à attendre un destin qui ne vient pas. Une campagne et une montagne désertées où même le babillement de leurs nourrissons ne les émeut plus. Le gouffre s’agrandit à mesure que le noir absorbe le blanc. Rampant à travers champs, des herbes folles tournoient, déportées au gré des directions qu’on leur impose. Un vide immense, sidéral, pèse de tout son poids sur le lieu.
Ils sont les parents de ces enfants dont le regard brûle par l'innocence, et par l'incertitude sur leur avenir. Assis ou accroupis, la trentaine à peine dépassée, ils sont déjà décrépis, rabougris, perclus de rhumatismes. L'humidité à rongé leurs articulations. Leurs muscles se sont noués, ankylosés à force de se faire petits, également. Fatigués du matin au soir, à ne rien faire, à n’avoir rien à faire, sauf attendre. 
Parfois ils se mettent debout et commencent à marcher, le claquement, le gémissement de leurs os rappelle celui des vieilles charnières de leurs étables, vides aussi. À pied ou à dos de camionnettes, ils vont d’un village à l’autre, d’un champ d’olive à celui de pastèques, pour chercher le travail saisonnier qui leur donnera de quoi revenir pour dépanner un temps. Certains s’installent en ville, ils se tassent à vingt dans une case en tôle, en périphérie, pour s’abriter des loups de la nuit. Ils sont alors de tous les marchés et de tous les petits travaux qu’on veut bien leur confier. Porteurs un jour, maçons le lendemain, éternels journaliers, ils finissent par apprendre une douzaine de talents, sans maîtrise, sans qu’aucun ne leur serve de métier.
De leurs regards, pleins de regrets pour l’obligation de quitter leurs régions, pleins de nostalgie pour leur femme et enfants, coulent des rivières de désolations. Et toujours cette colère sombre qu’ils enfouissent profondément dans leurs cœurs, une irritation traître, une aigreur qui ressemble à celle d’avant un repas qui tarde, lorsque la faim commence à tenailler les ventres. Ils seraient prêts à en découdre s’ils savaient avec qui, leur impuissance fait si mal que leurs lèvres restent closes, par peur de la laisser exploser.
Le soir arrive et tombe sur cette frustration. Quelques étoiles s’allument, puis s’éteignent en se glissant derrière les nuages, une coulée qui dégouline dans l’horizon. La nuit s’installe sans être invitée. Elle prend ses aises et envahit l’espace, obturant les dernières lueurs du coucher qui s’attardaient. Une nuit d’encre, d’attente et de mauvais sommeil.
Aux premières lumières de l’aube, ils sont de nouveau là. Si seulement ils trouvaient de quoi s’occuper pour remplir leurs journées, de quoi oublier un temps leur condition. L’attente les tue. Oisifs sans le vouloir, on les reconnaît facilement : fagotés d’une djellaba rayée en laine brute pour les abriter des intempéries, un ballot pour sac de voyage, ils s’assoient pour attendre en bordure des routes et des chemins passants.
De très loin, de la capitale, on ne les distingue pas l’un de l’autre, des pauvres, des miséreux, ils sont aussi nombreux que les grains de poussière incrustés sur leurs vêtements. Mais eux les voient maintenant, ils les observent et attendent qu’on vienne leur porter secours. Leur regard devrait fondre cette armure, leur patience vient à bout. Ils sont les oubliés de notre pays, ceux que tous les organismes sociaux, aussi bien nationaux qu’internationaux, pointent du doigt. Ceux que l'empreinte de ce doigt, brûle la peau.

samedi 6 mai 2017

Point de vue : De la pauvreté et de l’orgueil


J’ai vu la pauvreté briser l’orgueil.
J’ai vu le mal, les traces profondes de blessures et de boucles de ceintures dessinées sur le corps de victimes. J’ai vu des larmes, des sillons creusés sur les joues de celles qui subissent tous les jours des humiliations. Elles se plaignent à demi-mot, chuchotent leur détresse par peur d’être entendues, d’être montrées du doigt. Elles savent qu’elles ont perdu leur fierté dans ce titanesque ring d’injustices humaines, et se raccrochent à ces derniers fragments de dignité. Elles ont entendu leurs mères, leurs sœurs, leurs tantes et cousines, leurs voisines et toutes leurs proches se faire cogner. Elles ne veulent pas en parler, juste soigner le mal et s’en aller loin.
Doit-on les juger pour autant ?
Doit-on les blâmer, les sacrifier sur l’autel de nos pensées grandiloquentes de justice humaine ?
Chaussées de misère, elles sont devenues serpillières, des torchons qui essuient tous les mauvais coups de leurs tortionnaires. Vêtues d’idées séculaires sur la prééminence des hommes, d’analphabétisme, et d’ignorance de leurs droits, elles acceptent avec fatalité tous les tourments. Qu’elles soient chez leurs époux ou chez leurs parents, les coups pleuvront sur elles…
L’acharnement dont elles sont victimes ne s’arrête pas là, il continue par la société bien pensante, à chaque fois que sort un article quelconque qui les décrit, ou un sondage… Bien sûr elles répondront en majorité trouver cela normal, mais ce sont des paroles en l’air, des mots qu'elles profèrent pour cacher, pour justifier, le mal dont elles sont victimes. Légitimer sa détresse est le premier réflexe humain.
Nous savons tous que c’est la pauvreté tant matérielle qu’intellectuelle qui les pousse à embrasser ces notions d’inégalité. Nous savons tous que c’est notre société toute en disparités, et en manque d’humanisme, qui en est responsable.
Posons-nous les vraies questions. Blâmer la victime au lieu de blâmer les bourreaux ne nous grandit pas !