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Artisan orfèvre des mots Spécialisée en filigrane.

dimanche 20 novembre 2016

Billet : Trouver sa place au soleil


Une petite fille qui erre dans une grande ville, hagarde dans un quartier populaire. Des yeux trop grands, trop vifs pour accepter sa condition de miséreuse, un ventre maigre, une ossature qui tient par miracle debout. La silhouette de prédateurs autour d’elle, l’ombre d’agresseurs à chaque pas qu’elle fait, même et plus encore lorsque le soleil décline.
D’un père disparu, il ne lui reste de famille qu’une mère inconsciente, qui fait des ménages en journée et se drogue la nuit pour oublier; une vieille grand-mère hémiplégique dont l'âge a avalé l’esprit, et un petit grand frère qui a déjà subi toutes les offenses de la ville.
La petite est sale et désespérée, elle traîne sur le trottoir à la recherche d’une vie meilleure. Elle a repéré une jolie vitrine, avec des vendeuses qui lui semblent bienveillantes. Elle revient les observer tous les jours, passe des heures assises sur le perron pour se repaître de leur chance. Elles respirent un air propre, même si elles cachent derrière l'uniforme leurs tristes histoires personnelles.
Elle aurait voulu rentrer dans leur peau, gagne chaque jour un peu plus de distance pour se rapprocher. Et le jour où le rêve est trop fort, elle fait inconsciemment quelques pas dans leur local. On la chasse, pas méchamment, on la cajole de restes de biscuits, elle dérange leur commerce. Elle s’en va et va tourner en rond autour du quartier, autour de la ville, à la recherche d’autres vitrines. Elle n’a nul endroit où rentrer. Personne ne l’attend dans le cagibi que sa mère squatte.
Elle revient le lendemain. Son regard est à lui seul un cri de détresse, un appel SOS. Elle ne parle pas, ne demande rien. Elle est là juste pour regarder, ne fait de mal à personne. On finit par la prendre en pitié, on recherche sa mère qui disparaît des semaines entières, on parle à sa grand-mère allongée sur une natte qui discute déjà avec ses visiteurs invisibles. Le chaos assourdit les têtes, le frère est également absent ce jour-là, encore. On cotise, on l’emmène au Hammam pour la laver de l’outrage du temps. On l’habille de vêtements trop grands qu’on a récoltés chez les uns et les autres… On lui trouve même une garderie... Pour la garder un temps, le temps que la journée passe, que son ombre ne plane plus, et qu’elle ne soit la vitrine de la misère… Un rappel permanent de la maladie dont notre société souffre.
Son histoire est celle de milliers d’autres. Ils traînent dans les quartiers périphériques de nos villes, des milliers de garçons et de filles, qui ne quémandent pas notre compassion, ils sont nés de hasard de destin, c’est tout. Ils ont un air absent, blasé. Leur regard criant au début, perd de plus en plus de son brillant, il s’estompe et laisse place à ce mal-être qui ronge nos villes.
Nous aurons beau l’orner de tous les atours, nos cités resteront hantées par ces yeux qui s’éteignent par l’indifférence des gens. La société civile ne pourra recueillir toutes les âmes damnées que rejettent nos villes et campagnes. La pauvreté n’est pas un vain mot, elle nous environne et se terre partout.  Ni le maquillage ni les petits à-coups de prise de conscience ne peuvent la gommer. 
La faim est un sentiment primitif, qui ne connaît pas les conventions. Elle est laide, traître et sauvage. Il n'est pas étonnant que les vitrines servent de premières cibles à chaque mouvement populaire, leur transparence exacerbe le sentiment d'injustice. 

mardi 1 novembre 2016

Tribune : L'espadon de la colère

Lien de l'article publié sur le Huffington Post : http://www.huffpostmaghreb.com/meriem-h-hamou/lespadon-de-la-colere_b_12745804.html?utm_hp_ref=maghreb

Je suis sans mots devant le désastre d'un jeune homme si désespéré qu'il a suivi la marée de sa nasse pour être broyé dans un camion poubelle. L'atrocité de cet acte n'a de comparaison que le jeune diplômé chômeur, qui s'était immolé il y a quelques années devant le parlement. Le désespoir, la misère, la paupérisation de nos populations poussent nos jeunes de plus en plus vers ces actes ultimes.
Sans entrer dans le débat de la responsabilité ponctuelle de cet accident, et tout en me solidarisant complètement avec la famille et les proches de Mouhcine Fikri, j'aimerais pointer le doigt sur un angle de ce tragique évènement qui a été occulté: la pêche interdite en cette saison de l'espadon. Ce poisson à la chair fine, dont le prix au kilo s'envole encore plus en cette période, est allègrement consommé par les plus aisés d'entre nous. Je poserais alors la question qui dérange: à qui profite le crime? Pour répondre haut et fort à ses revendeurs dans le marché occulte de la restauration de luxe, et surtout à tous ses consommateurs.
Nous sommes tous responsables de remplir nos assiettes de marchandise illicite qui transite par des voies occultes. À chaque fois que nous consommons une nourriture qui ne passe pas par la voie légale, nous encourageons la contrebande et ses conséquences: nous remplissons les poches de fonctionnaires véreux qui ferment les yeux sur leur passage, et engraissons tous les intermédiaires qui, par un moyen ou un autre, puisent dans nos faiblesses pour nous servir ces affligeants plats.
Le tragique de ce décès doit également nous éclairer sur une autre réalité: l'État qui joue au borgne dans cette économie souterraine. Un coup je nettoie un peu et un coup je laisse faire: une hypocrisie qui touche tous les secteurs, et qu'on laisse faire dans l'espoir de diminuer la courbe ascendante du nombre de chômeurs.
Qu'on vienne maintenant me parler des islamistes qui sont au pouvoir depuis cinq ans, qui avaient clamé haut et fort qu'ils allaient assainir et mieux partager, et qui ont profité de leurs postes et immunité pour acquérir de plus en plus d'avantages et s'enrichir sur notre dos. Pire que ça, notre chef de gouvernement demande aux membres de son parti de ne pas manifester leur solidarité avec ce jeune pêcheur, il aurait même fait pression sur la propre famille de la victime afin qu'ils ne défilent pas. Le poids de la responsabilité de cet acte a dû peser si lourdement sur ses épaules qu'il l'a aveuglé. Le discernement dont il doit faire preuve, la compassion et la solidarité ont glissé dans les rets du bourrage de portefeuilles ministériels.
Jusqu'à quand allons-nous continuer à soutenir ces gens? Parce que clairement, à chaque fois que nous laissons faire, que nous ne votons pas pour un vrai changement nous les encourageons implicitement. À chaque fois que nous n'élevons pas la voix pour demander un changement, nous trahissons nos valeurs et ceux de nos concitoyens; nous nous désolidarisons avec les plus faibles d'entre nous et les envoyons dans la géhenne de ces braderies clandestines, avec au bout la mort de pauvres innocents.
Cela étant, j'aimerais également vous mettre en garde contre les marchands de chimère hameçonnés par des pirates de tout acabit et qui frétillent en déversant leur flot de haine et de discorde. Ils profitent de la moindre anicroche dans notre pays pour amplifier l'évènement et nous renvoyer dos à dos.
Cette tragédie est arrivée à Al Hoceima mais pourrait survenir partout ailleurs, nous devons garder en tête que l'Arabe et l'Amazigh sont des frères siamois qui constituent le corps de notre pays, et qui ne peuvent être séparés sans faire périr les deux. Et au lieu de jouer aux voyous par des actes malveillants, qui n'auront de conséquences qu'à enfoncer notre pays dans l'anarchie, et se frotter les mains aux marchands d'armes, gardons la tête froide pour analyser calmement la situation.
Commençons par nous corriger nous même, chaque appareil acheté, chaque chaussette portée, chaque bouchée qui ne provient pas de la voie légale de transit de marchandise porte la marque indélébile d'une sueur corrompue. Donner même un dirham pour un service qui nous est dû, nous place directement au centre de la corruption. Corrigeons-nous et assainissons nos institutions et nos gouvernants, votons à chaque fois que c'est possible et revendiquons par les moyens légaux dont nous disposons. Ils ne peuvent se contenter de gouverner, ils en sont comptables et doivent rendre compte de leur politique et agissements.
Nous sommes, paraît-il, les champions du monde de la délation, utilisons-la à bon escient cette fois-ci, et dénonçons les responsables qui tirent notre pays vers le bas, à l'image de ceux de cette catastrophe, et en premier lieu le chef de notre gouvernement qui les a placés là.