« J’ai écrit mon identité
A la face du vent
Et j’ai oublié
d’écrire mon nom »
Cet aphorisme, qui
donne la notion de l’identité, est du grand poète syrien Adonis dont je partage
les idées.
Car qu’est-ce que
l’identité, si ce n’est l’acceptation de ma nature humaine d’abord, avant toute
autre considération. Qu’est-ce qu’un nom, sinon celui par lequel on m’a
baptisé, et dont certains voudraient se servir pour m’enfermer dans une case
culturelle.
En théorie, l’identité,
par son côté philosophique, comporte trois notions : c’est d’abord la
relation de tout individu à lui-même, son appartenance à un groupe, et enfin le
degré de ressemblance des membres de ce groupe. En psychologie, c’est la
représentation de soi que cet individu se fait, et comment le groupe le perçoit.
Dans la réalité c’est
tout autre chose. Dans la vraie vie, on voudrait séparer les gens en groupes,
en castes, par leur naissance, leur formation, ou leur culture. Et comme
Adonis, je m’insurge et refuse cette séparation, en l’écrivant à la face du
vent.
Certes, j’habite au
Maroc, je suis Amazigho-Arabe de "souche", mais je suis également
arabo-occidentale de culture. Et j’adore ces deux versants de ma nature. N’en
déplaise à tous ceux qui veulent se replier, et s’enfermer dans le carcan d’une
identité culturelle exclusive, moi je me meus avec aisance dans les deux, sans
que cela n’induise un paradoxe. Mes deux cultures ne sont jamais en opposition,
ils s’enrichissent et se multiplient l’une par l’autre, et forment mon être, ma
véritable seule et unique identité.
Il n’y a aucune "schizophrénie" dans
cet état de fait, puisque j’ai la liberté de choisir laquelle incarner, et que
je l’applique consciemment à tout moment. Je ne me sens contrainte ni par l’une
ni par l’autre, et peut m’émouvoir aussi bien d’une chanson d’Oum Kaltoum, de
Abdelouahab Doukkali ou de Idir, que d’une chanson de Jacques Brel ou d’Aretha
Franklin. Je peux lire Rubaiyat Al khayam et Naguib Mahfoud, comme j’adore
partir à la recherche de tous les temps perdus, que ce soit celui de Marcel
Proust, ou bien les œuvres de Marguerite Yourcenar.
Mon identité ne
s’étend pas à un pays ou une région, elle est la liberté de me sentir entière
dans chacune de ces deux cultures. Celle Amazigho-arabe qui m’a fait naître et
qui m’a été offerte, et celle occidentale que j’ai acquise, que j’ai fait
l’effort d’étudier et d’approfondir, et que j’assume entièrement.
Je ne me sens pas
étrangère à cette dernière, je l’ai gagnée par mes études, mon travail et ma
persévérance. Je ne la dois à personne. Une culture est un essaim de pollens
portés par le vent, elle fleurit là où elle trouve un terrain favorable, là où elle
est bien arrosée et entretenue. Comme je ne vois pas d’inconvénients à ce que
d’autres s’approprient et développent celle de ma naissance. Cela a déjà été le
cas par le passé, et peut continuer maintenant. J’aurais pu m’intéresser à la
culture nippone, ou mexicaine, ça n’aurait rien changé, je serais dans
l’acceptation de cette deuxième ou troisième culture.
L’identité s’écrit
à la face du vent, comme a dit le poète, il a oublié d’écrire son nom, tant il
se sent universel. Pour ma part, je déteste également les mots tels que
fermeture, clôture, frontières et pensée unique… Ils me rendent claustrophobe.
Mon choix de
m’approprier ces deux cultures est délibéré, et je hais le terme de
Schizophrénie, qui s’est emparé de toutes les discussions, un tant soit peu "intellectuelles".
On est
multiculturels, il faut l’admettre, une bonne fois pour toutes, afin d’éloigner
ce spectre psychiatrique qui nous rendrait grands malades mentaux. On est
multiculturels qu’on ait fait des études ou pas, qu’on le veuille ou non, et
cela se voit tous les jours dans nos villes et nos campagnes. A des degrés
divers, il est vrai, mais des nuances existent. Et chacun est libre de puiser
dans l’une ou l’autre des cultures qu’il lui soit donné la chance de vivre ou
d’étudier, ce qu’il pourra, mais également ce qui lui plaira. De créer son
alchimie particulière, d’avoir une saveur unique, avec un bouquet riche, à
l’image de notre bonne cuisine. Ainsi que de l’exporter et de la diffuser, en
tout ce qu’elle a de bien et de positif.
On est
multiculturels, c’est celle-là notre identité. Et plus vite on l’admettra,
mieux on vivra bien, dans l’acceptation de soi-même d’abord, mais également
dans l’adhésion et l’ouverture aux richesses des autres cultures du monde.