C'est une nouvelle légère et un peu noire... que je publierai en épisodes.
Avertissement de l'auteur : Toute ressemblance des personnages premiers, secondaires ou même tertiaires, avec des personnes que les lecteurs ont connu, connaissent où seront amenés à fréquenter, est purement fortuite :) .
Épisode 1.
C’était
une de ces journées où dès le réveil tout va mal, un jour qu’on a envie
d’effacer de sa mémoire. Une journée où les minutes, les secondes, se sont
égrenées à un rythme si lent que l’on pourrait croire que chaque instant a
compté pour au moins une heure. C’était comme si on vous projetait dans un film
au ralenti et vous obligeait à en être l’acteur. Que vous étiez le pantin d’une
grosse farce de l’univers, sans nul contrôle sur
les événements intenses qui se succèdent à un rythme effréné. Aucun,
sauf de subir et d’espérer en arriver à bout en restant vivant, et plus ou
moins indemne.
Quand
on parle de la création du monde en six jours, je le comprends enfin ! Et si
chaque seconde de notre vie sur terre représentait un million de jours pour
notre grand Artisan ?
Voilà
que je deviens philosophe !
Et
tout d’abord une nuit agitée, peuplée d’hallucinations, de claquements de
dents, de chaleur et de transpirations. Je me suis réveillée… Non, je me suis
forcée à émerger du cauchemar récurrent qui faisait tambouriner mon cœur, la
bouche nauséeuse et des sueurs froides enveloppant mon corps endolori.
Le
combat pour en sourdre m’a laissé des traces : un dos raide, des
courbatures partout, et un mal de crâne pulsant, l’impression qu’un marteau
s’était insidieusement glissé sous mon scalp et s’en donnait à cœur joie.
Rien
dans mes souvenirs de la veille ne pouvait justifier cela. J’avais eu une
journée des plus insipides et assommante : un briefing, en début de
matinée, à s’en décrocher la mâchoire, quelques visites médicales à mon réseau
de médecins blasés qui m’ont soutiré quelques échantillons et ont égratigné mon
calme placide de leurs blagues triviales. Quelques poignées de mains appuyées,
très appuyées, et d’autres paumes qui se sont glissées sur mes épaules et se
sont furtivement baladées sur mon dos, en bas du dos…
Que
du normal ! C’est la profession qui veut ça, ou la culture, ou je ne sais pas…
Je
n’ai jamais compris pourquoi les hommes se croient tout permis dès qu’on les
sollicite pour quelque chose... Il y a toujours dans leurs regards, leurs
gestes, leurs attitudes, un soupçon de donnant-donnant. Mais mon métier est
déléguée médicale, et j’ai appris à sourire poliment et à leur cracher dessus
de l’intérieur.
Alors
que s’est-il passé une fois endormie ?
J’ai
l’impression d’avoir été enlevée par des extra-terrestres, ou que des diables
se sont emparés de mon corps et de mon esprit et m’ont fait vivre une équipée
extrême. Mais peut-être était-ce seulement mon sixième sens, cette perception
de danger imminent, qui me préparait à l’enfer que serait ma journée.
Épisode 2.
Je n'ai rien ressenti, lorsque j'ai pivoté du lit pour poser mes pieds par terre et me relever. Littéralement. Je voyais mes pieds, là, et je ne sentais rien... Ils étaient comme détachés de mon corps, des moignons morts, des extensions qu'on m'a ajoutées pendant mon endormissement. J'essayais de bouger mes jambes pour activer la circulation, faire des moulinets, comme je leur ordonnais, mais dès que mes voûtes touchaient de nouveau le sol, la sensation de froid ou de chaud remontait comme enveloppée, en nuage floculant.
C'était comme si le courant alternatif allait dans le centre de commande et qu'il ne retransmettait pas correctement. Mes synapses s'étaient déconnectée, ou avaient choisi de répondre à un stimuli et pas un autre.
Je ne suis pas d'une nature anxieuse ou hypocondriaque, mais ces symptômes m'ont semblé plutôt sérieux. J'ai réfléchi à une explication raisonnable à ce grand bouleversement de mon organisme, et le diagnostic auquel je suis parvenue est... tumeur au cerveau.
C'était comme si le courant alternatif allait dans le centre de commande et qu'il ne retransmettait pas correctement. Mes synapses s'étaient déconnectée, ou avaient choisi de répondre à un stimuli et pas un autre.
Je ne suis pas d'une nature anxieuse ou hypocondriaque, mais ces symptômes m'ont semblé plutôt sérieux. J'ai réfléchi à une explication raisonnable à ce grand bouleversement de mon organisme, et le diagnostic auquel je suis parvenue est... tumeur au cerveau.
Et là mon cœur a
fait un bond, de grands frissons me traversèrent. Plus j’y pensais, plus je
trouvais ma prédiction plausible...
Je tiens à
préciser tout de suite que je ne suis absolument pas médecin ou pharmacienne,
ni paramédicale d’aucune sorte, d’ailleurs. Oui, j’en côtoie tous les jours, mais
je ne suis pas membre de la "noble profession médicale". J’ai fait
des études de marketing et trouvé un poste dans un laboratoire pharmaceutique.
Et après quelques formations à droite à gauche, j’ai été déclarée apte à
aligner un laïus (appris par cœur), et digne des plus grands spécialistes. Mais
je n’ai rien d’un docteur.
Et en parlant de
ces derniers, j’en connais beaucoup et non des moindres, mais un en particulier
a percuté mon cerveau malade. Il est célibataire, c’est sa plus grande qualité,
et moi ça fait très longtemps que je cherche à me marier.
C’est
donc sans hésitations que je me suis penchée vers ma table de chevet pour
prendre mon téléphone. Et devinez quoi ? Il était éteint… Il n’avait plus de
batterie, j’avais oublié de le recharger la veille.
Jusque
là, tout pouvait encore passer pour du "semblant normal". Je l’ai
branché donc et attendu, patiemment, qu’il veuille bien s’allumer. Ceux qui ont
des Smartphones comprendront de quoi je parle : les secondes qui s’étirent
et deviennent des minutes, regarder bêtement un petit écran qui se ranime en
chargeant toutes les applications, accrocher enfin le réseau… Et gare à vous,
si vous touchez la moindre chose pour accélérer le processus, vous ne feriez
que le retarder, puisqu’il cherchera l’appli que vous avez incidemment activée
en appuyant au hasard, et tardera d’autant plus à se mettre en marche.
Une
gorgée d’eau pour m’éclaircir la voix, et me voilà prête à parler au Docteur
Tarik Rachdi. Il va sans dire que j’avais son numéro de portable. Envisager
d’aller aux urgences a furtivement effleuré mon esprit, mais j’ai très vite
éloigné cette idée ridicule.
Outre que les files d’attente étaient infinies et pouvaient durer des jours (ce n’est pas pour rien qu’on appelle les malades des patients [je ne pouvais pas m’empêcher de la faire, celle-là. J’en vois déjà qui roulent des yeux]). Bref, on pouvait tomber sur de soi-disant internes, en réalité étudiants de troisième année de médecine, qui vous donnaient des génériques de Doliprane, en dosage pédiatrique…
Outre que les files d’attente étaient infinies et pouvaient durer des jours (ce n’est pas pour rien qu’on appelle les malades des patients [je ne pouvais pas m’empêcher de la faire, celle-là. J’en vois déjà qui roulent des yeux]). Bref, on pouvait tomber sur de soi-disant internes, en réalité étudiants de troisième année de médecine, qui vous donnaient des génériques de Doliprane, en dosage pédiatrique…
Et
puis, le népotisme est trop attrayant… Pourquoi se fatiguer à attendre son
tour, lorsqu'on pouvait, par un simple coup de fil, passer devant tout le monde ?
Pour
en revenir au sujet du Docteur Rachdi, il m’a donné rendez-vous à dix heures
trente. Inutile de dire que c’était d’une grande gentillesse de sa part… qu’il prenne
spécialement tôt son service à l’hôpital… pour moi ? Pour moi ! Il le fait pour
moi, me répétais-je bêtement, un sourire idiot décrispant mes lèvres sèches. Si
je n’avais pas été aussi malade, j’aurais sautillé de joie.
Et
après les rires et les moqueries d’usage sur mon pronostic vital, mes
remerciements chaleureux pour sa diligence, je me suis enfin levée. La lueur d’espoir, allumée dans mon esprit, avait
suffisamment réchauffé mes vaisseaux pour remettre le courant dans mes jambes.
Mais
ça n’allait pas vraiment bien. Et je me suis traînée tant bien que mal vers la
salle de bain, sans prendre le risque d’entrer dans la douche. Je frissonnais,
mon dos était à moitié bloqué et j’avais peur de tomber dans les pommes. Mais
j’ai pris soin de passer un gant de toilette mouillé sur les endroits
stratégiques, porteurs généralement d’odeurs nauséabondes.
Encore
émoustillée par les flatteries de mon supposé prétendant, je me suis trouvée
presque belle dans mon miroir, et en ai profité pour souligner mes yeux au Khôl. Mes prunelles étaient plus brillantes que d'habitude. J’ai envisagé d'en faire plus, mais je
devais rester crédible dans mon rôle de malade.
L’ascenseur
étant en panne depuis une semaine, j’ai descendu en crabe, lourdement arc-boutée
sur la rampe, les 44 marches jusqu’au rez-de-chaussée, et une fois dans la rue,
j’ai trouvé ma voiture immobilisée par un sabot.
À
partir de là, j’ai commencé à hésiter : devais-je la prendre, en appelant,
bien évidemment, le service concerné et payant l’amende, ou bien ne valait-il
pas mieux remonter chez moi, me recoucher, et attendre que ça passe ?
Puis
j’ai compté le nombre d’embarras que j’avais eu depuis le réveil : En un
les cauchemars, en deux mon malaise général, en trois l’ascenseur en panne,
mais celui-là durait depuis plusieurs jours déjà. Une chance que j’habite au deuxième
étage seulement. En trois donc, le sabot. Voilà ! Le compte est bon, me suis-je
réconfortée. Jamais deux sans trois, comme on dit ! J’avais conjuré le sort,
plus rien de mal ne pouvait m’arriver.
Encore
heureux que le trois n’ait pas été un accident, ou pire que ça, que je n’aie
été victime d’une erreur médicale ! Imaginez, être sur le billard pour
une intervention prévue pour quelqu’un d’autre? Me faire enlever un organe, ou
une opération à cœur ouvert... mais je déraillais à ce moment-là et dans ces
cas-là mon imagination devient très fertile.
Restons
calmes, me répétais-je essayant de me montrer raisonnable. Tout cela pouvait
passer pour de l’ordinaire : d’habitude, je sors de chez moi avant huit
heures, ce qui veut dire avant le début des horodateurs. Ma maladie avait donc
entraîné ce contrecoup. Rien ne servait de me morfondre ou de penser que le
cosmos avait une dent contre moi.
Et puis,
j’avais vraiment besoin de voir un médecin. Et l’occasion de rencontrer Docteur
Rachdi en tant que patiente, libre par conséquent de ma réserve
professionnelle, était beaucoup trop belle pour que je la gâche avec mes
superstitions puériles.
Déterminée
à continuer, me voilà au premier carrefour où j’ai dû freiner
brusquement : la voiture devant moi avait décidé de s’arrêter net dès le
premier clignotement du vert, avant même qu’il ne passe à l’orange.
La
peur du gendarme pousse à des excès ! C’était un policier, en l’occurrence, posté
pour une fois au carrefour. Mais il semblait si occupé à parler au téléphone et
tirer sur sa cigarette, qu’il n’a pas entendu nos pneus crisser.
Serait-il
caricatural de dire que j’ai tamponné le véhicule devant moi ?
Oh !
à peine. Mon sac a sauté du siège en déversant son contenu, et le conducteur
est sorti voir les éventuels dégâts sur son pare-choc et m’a lancé un regard
bien noir. Je me suis bien enfoncée dans mon siège, où, accrochée au
volant, j’espérais devenir invisible. Puis, j’ai sursauté de peur en entendant
des coups secs frappés directement sur ma portière. Mais ce n’était, fort
heureusement, que le mendiant handicapé, un peu simple d’esprit, qui fait la
manche tous les jours à cette intersection.
Mon
soulagement fut de courte durée. Ne pouvant rien lui donner, pour cause
d’incapacité à accéder à mon porte-monnaie (– d’autant qu’à cause de mon
Lumbago, je ne pouvais absolument pas me pencher pour le prendre), il a
commencé à s’énerver, à m’insulter en me traitant de tous les noms… heu… que je
n’ose même pas reporter ici. Et des coups de poing sur ma porte, et du dégage
de mon feu…. Etc.etc.etc.
J’avais
pris soin pourtant de lui expliquer mes déboires, mais c’est à peine s’il ne
m’a pas craché dessus.
Les
yeux me sortaient des globes, je ne l’avais jamais vu en état de crise, et le
seul réflexe que j’ai eu a été de remonter très vite ma vitre.
Ça
m’apprendra, me morigénais-je, bien calfeutrée dans l’habitacle sécurisant de
ma petite voiture. Je vais redevenir partisane du concept de Mao : ne leur
donnez pas de poisson, apprenez-leur à pêcher.
Cela
étant, j’ai repris mes comptes. Est-ce que le mendiant pouvait être classé
trois sur l’échelle de la poisse ? Et le léger accrochage ? Devais-je le
considérer aussi, même s’il n’a eu aucune conséquence ? Parce que si je dis que
le sabot était normal (vous suivez toujours ?), lequel de ces deux incidents je
devrais chiffrer pour finir mon décompte ? Mes neurones carbureraient à plein
régime. Et si j’étais en train de commencer une nouvelle phase ?
C’est
peut-être la loi des séries qui s’applique dans mon cas, et si je devais endurer
trois cycles de trois ?
Mon
inquiétude croissait à chaque courbure de route.
Arrivée
à l’hôpital, je me suis garée sur le trottoir, un peu loin de l’entrée, à une
place que miraculeusement un gardien m’a indiquée. Il avait une bonne tête et
m’a souri.
C’était
de bon augure, j’ai senti que le vent était en train de tourner en ma faveur.
Il a même fait du zèle en ouvrant ma portière. J’ai porté mon regard vers ma
besace retournée, puis vers lui. Et vu qu’il avait un air sympathique et qu’il
était gardien sur le trottoir de l’hôpital, après tout, me disais-je pour me
tranquilliser. Je lui ai demandé s’il pouvait récupérer mon sac, lui donnant
les explications nécessaires concernant mon dos.
Son
sourire s’est élargi, mais je suis restée bien en place, pour le surveiller et
m’assurer qu’il n’allait rien subtiliser au passage.
j'eus à peine le temps de comprendre qu'au lieu de se pencher vers mon sac, il s'est assis à côté de moi. Il sentait un peu l'alcool, ou plutôt le chloroforme. J'en eus la confirmation à la seconde où il a plaqué un chiffon sale contre ma bouche, juste avant le black-out.
Épisode 3.
Avant de continuer,
il faudrait peut-être vous expliquer qui je suis. Parce qu’au cas où vous ne
l’auriez pas remarqué, plus haut, j’ai reçu zéro aide, depuis mon réveil. Et je
n’étais pas près d’en avoir, puisque ma famille a décidé de me renier, presque,
depuis que j’ai quitté le "Cocon" parental.
Ça a créé un tel
scandale !
Quoi ? La fille untelle
vit seule ? Et sa famille habite dans la même ville ?
Les raisons de
mon départ seraient trop longues à expliquer. Disons seulement qu’après le
décès de mon père, mon frère, qui était au chômage, a décidé de venir habiter
avec nous, et qu’il a apporté dans son panier femme et enfants ; que ma grande
sœur (divorcée et vivant sous le même toit) est insupportable et veut régenter
la vie de tout le monde. Et enfin, et non moins important, je n’avais besoin de
personne pour me rappeler que mes cousines, mes copines, les amies de mes amies
et la plupart des gens de ma génération étaient mariés, et avaient déjà un
gosse ou deux.
Non pas que je ne veuille pas me marier, si je pouvais trouver
quelqu’un de convenable, je ne me ferais vraiment pas prier, mais j'en avais
marre d'entendre toujours le même disque rayé, qui racle là où ça fait mal.
Vous n’aviez pas
remarqué que ce genre de conseils matrimoniaux est plus facilement servi par les
plus mal lotis ?
Pour en revenir
à ma famille, vous connaissez le topo, je ne vais pas tout vous rabâcher. Ils
n’ont pas coupé complètement les ponts avec moi, je les vois encore, à quelques
occasions... mais pas question de demander assistance. Ce serait le coup à
recevoir des réponses cinglantes du genre « Tu vois ? », ou bien
« je le savais ! » « On te l’avait bien dit ! », et ainsi
de suite...
J’étais
suffisamment âgée, et surtout, j’avais un salaire confortable qui me permettait
de sauter ce pas. Je l’ai donc fait aisément et ne l’ai jamais regretté, sauf
en ce moment. Mais je me mordrais plutôt la main, que de demander de l’aide. Je
suis une personne adulte et responsable, je vais assumer mes problèmes et boire
mon calice jusqu’à la lie.
Ceci étant
éclairci, je reviens à ma journée infernale, où j’ai émergé des vapes dans un
endroit sombre. Je ne voyais rien d’abord et il y avait une pression terrible
sur mes paupières. J’ai réalisé, plusieurs secondes plus tard, qu’on m’avait
attaché les mains et les pieds par des liens en cordes, et mis un cache-yeux.
Une lame de fond
m’a soulevé l'abdomen, mon angoisse était si forte, que j’ai cru que j’allais
vomir. Et les palpitations désordonnées de mon cœur provoquaient un tel séisme
dans mon organisme, qu’une chair de poule traversait en vagues l’ensemble de ma
peau.
J’entendais
clairement ce qui se disait autour de moi, néanmoins. Il était question de
kidnapping, et d’appeler mon père pour l'informer qu’on détenait sa précieuse fille,
et d’autres choses du même acabit.
Cela m’a quelque
peu rassuré, j’ai tout de suite compris qu’il y avait eu erreur sur la personne.
Je n’avais jamais trouvé qu’il y avait un avantage à être orpheline jusqu’à cet
exact moment. Et puis, même si mon père, que Dieu ait pitié de son
âme (et de la mienne par la même occasion), avait été vivant, il n’aurait
jamais pu leur payer la somme astronomique qu’ils semblaient réclamer.
Ils se
chamaillaient également sur le timing : l’un voulait appeler tout de suite
et l’autre disait qu’il valait mieux laisser mijoter la famille au moins
vingt-quatre heures, pour bien leur mettre la pression et qu’ils cèdent plus
facilement.
J’ai décidé d’intervenir
à ce moment-là.
Outre que je cherchais à rectifier leur méprise, devoir
attendre, ne serait-ce que quelques heures de plus, dans cette pièce qui
sentait l’humidité et la pisse froide, aurait été au-dessus de mes forces.
Ayant pu me
libérer du bandeau, après quelques frottements contre la sorte de matelas où
j’avais été jetée, j’ai discrètement ouvert les yeux et découvert mes
ravisseurs. Il y avait le gardien de voitures de l’hôpital, et un autre avec
une tête patibulaire. La pièce où j’étais retenue prisonnière ne faisait pas
plus de 20 mètres carrés, et possédait une petite lucarne grillagée au raz du
plafond. Les murs étaient écaillés et engorgés de moisissures, et le sol d’une
saleté repoussante. J’ai aperçu également des toilettes à la turque encrassées,
derrière une porte entrouverte.
Je n’eus pas
besoin de parler pour les interpeller, la salve d’éternuements, due à l’excès
d’humidité que j’inspirais, le fit à ma place. Mon gardien se tourna vers moi
en souriant, et se renfrogna juste après en réalisant que je le voyais. L’autre
énergumène, qui avait une tête chauve, des yeux rapprochés et les dents en moignons,
me fixa avec une telle méchanceté que j’ai cru que ma dernière heure était arrivée.
Mais passé ce
premier réflexe, je me suis rappelé qu’ils me prenaient pour quelqu’un d’autre.
Mon assurance est
revenue, et j’ai même envisagé qu’ils me relâchent. Ma petite sieste forcée,
mine de rien, m’avait fait du bien. Je me sentais plus revigorée et mon
instinct combatif refluait au grand galop. C’est donc sans état d’âme que je
leur ai donné mon nom, leur proposant même de regarder dans mon sac pour
vérifier mes papiers.
« – Comment
ça ? Ce n’est pas la fille de Hajj Madani ? demanda le vilain, à mon ex-gardien
de voiture.
– Quoi ? Vous me
prenez pour la fille de Madani ?
Pour un peu
j’aurais éclaté de rire. On parle bien de celui qui a les usines, les immeubles,
l’assurance, et tout ce qui s’en suit…
« Vous
croyez qu’une fille comme ça aurait le genre de besace que vous fouillez,
là ?, poursuivis-je. C’est le sac d’une milliardaire ça ? Ce n’est ni un Louis
Vuitton ni un Chanel, mais juste un truc que j’ai acheté chez Zara. »
Si vous me
demandez aujourd’hui pourquoi j’ai fait référence à la marque de mon sac en
premier, je serais incapable de vous répondre sincèrement. Je suppose que le
milieu que je fréquente est si basé sur les apparences et le bling-bling qu’un
sac peut être à lui seul une preuve d’identité sociale. Je parle des vrais, bien
sûr, pas les imitations, qu’on détecte à un kilomètre à la ronde. Méfiez-vous à
ce propos d’ailleurs, c’est le coup à vous faire descendre très bas dans l’ascenseur
de considération communautaire.
Il y a certaines
réactions qui se sont tellement incrustées dans notre façon de vivre, comme de
regarder les légers signes sur les chemises et pulls, la marque des Jeans, la
couleur des semelles, ne parlant même pas des bijoux (– qu’on met maintenant
arrivés en soirée seulement), que cela devient un réflexe. On peut, d’un coup
d’œil, soupeser et évaluer chaque personne qu’on rencontre pour la première
fois. On s’est transformé en sortes de porteurs de publicité ambulants. Le pire
c’est qu’on est volontaires pour ça, on paye cher même pour l’être. Mais bon,
on n’est pas en train de faire une étude sociologique ici…
J’en étais à l’autre
brute, qui semblait aussi perplexe que son acolyte.
« – Mais, tu
m’as dit d’intercepter la fille qui devait venir avec une petite voiture deux portes
de couleur bleu ciel.
– Eh Bien... Oui !
Mais ce n’est pas cette fille ! Maintenant que je la vois bien, je ne crois pas
que ce soit elle.
– Attendez un
peu, ripostais-je. La fille Madani a la même voiture que moi ?
Quelque part, ça
me réconfortait de savoir qu’une fille de la haute pouvait rouler dans un
véhicule identique au mien. Cela voulait dire qu'on était pareilles, dans une certaine mesure, dans une sorte de monde
parallèle.
– Tu as quoi
comme voiture, toi ?
– Une Renault
Twingo, dis-je, les narines palpitantes de fierté. J’avais de quoi m’enorgueillir,
je la payais cher encore sur mon salaire.
- Et voilà !,
dit-il en me jetant un regard condescendant. Puis se tournant vers son compère :
Je savais que tu t’étais trompée quelque part. Elle, elle a une Mini-Cooper
convertible.
Il me fixa de
nouveau. Elle est décapotable ta voiture ?
Ma tête alla de gauche à droite frénétiquement.
« Tu vois ?
Imbécile !, lança-t-il à son complice. Même si tu ne sais pas lire, tu aurais
dû regarder au moins le toit. »
Là, je peux vous
dire que je me suis sentie vraiment humiliée. J’avais presque envie de lui dire
que j’avais une certaine valeur aussi, que je pouvais également leur rapporter
quelque chose. Mais je me suis retenue à temps. Les chamboulements que je
subissais, depuis le matin, m’avaient réellement retourné le cerveau. J’en
étais presque au syndrome de Stockholm.
Mon ex-gardien
me regarda même avec une lueur de sympathie, sa bonhomie était revenue. On
sentait vraiment qu’il était désolé pour moi, et j’ai compris pour ma part que
je venais d’entrouvrir une petite fenêtre pour me sortir de là.
L’autre continuait
sur sa lancée : « J’avais bien préparé le coup, en plus ! j’ai freiné
ma moto pile devant elle, pour qu’elle me bouscule. Je me suis même fait un peu
mal en tombant. Et toi tu viens tout gâcher ! Je savais qu’il ne fallait pas
compter sur toi !
La fille était
prête à me suivre n’importe où, pourvu que je ne porte pas plainte contre elle,
et que ses chers parents n’en soient pas informés.
– Mais arrête
enfin, j’ai fait ce que tu m’as dit !
J’en ai marre de
recevoir des ordres tout le temps ! Celle-là aussi venait d’arriver à
l’hôpital. Tu crois que j’ai eu le temps de lui demander si c’était elle qui
avait eu un accident avec une tête de singe ?
– Et tu t’es vu
toi ? Tu penses être mieux que moi ? »
Ils allaient
presque en venir aux mains, quand une nouvelle salve m’a secoué.
Je les ai
suppliés de me libérer au moins les poignets pour que je puisse me moucher. Mon
nez coulait de façon ininterrompue, ce qui eut l’air de les dégoûter. L’un
d’eux me balança mon sac, et l’autre défit mes liens. Je me suis jetée sur ma
boîte de mouchoirs de poche, je respirais désormais par la bouche.
Ils me mettaient
en garde, entretemps, de tenter la moindre esquive. Je n’aurais pas pu, même si
je le voulais. Entre mes pieds entravés et le molosse qui montrait ses dents
jaune moutarde, mon envie de fuir avait depuis longtemps pris la poudre
d’escampette. Je comptais plutôt sur leur compréhension, ou sur celle de l’un
d’eux au moins. Et pendant que je me mouchais fortement, j’ai réfléchi aux
solutions possibles qui s’offraient à moi.
Mais ils recommençaient
à se battre et à s’insulter à qui mieux mieux. L’ex-souriant écumait de rage maintenant,
et l’autre l’avait empoigné et lui faisait une clé de bras. Mon pessimisme est
revenu pour me souffler une évidence que j’avais occultée depuis le début :
puisque je n’étais pas la personne qu’ils voulaient, ils allaient m’éliminer…
En effet,
maintenant que je connaissais leur plan, pourquoi allaient-ils me libérer et
prendre le risque que je les dénonce ?
Leur colère
venait aussi du fait qu’ils voyaient s’envoler les millions dont ils avaient
rêvé, à cause d’une erreur de parcours (moi, en l’occurrence).
J’ai regardé
subrepticement ma montre et vu qu’il était à peine onze heures, les mots
sortirent de ma bouche avant même que je n’aie le temps de peaufiner mon
stratagème. J’essayais de gagner leur confiance, en me faisant leur complice.
« – Elle
doit être encore en train d’attendre la fille, non ?
Si ça m’était
arrivé, j’aurais supposé que tu étais aux urgences. Et je t’aurais cherché là,
ou bien j’aurais patienté à la porte. »
Cela eut l’air
de les calmer. Ils se regardèrent tous les deux, et une flambée d’espoir leur
fit changer d’attitude. Le vilain grimaça même avec l’intention de sourire,
cela le défigura tant, que j’ai baissé la tête pour ne pas regarder sa bouille
de bouledogue.
Il se reprit néanmoins et se rapprocha de moi, comme s’il voulait me flairer. Je me suis
reculée pour m’enfoncer presque derrière les coussins.
« Pourquoi tu nous dis ça, toi ? Qu’est ce que tu y gagnes ?
– Moi ? Rien !
C’est juste que pour faire un coup tordu comme ça, vous devez avoir
désespérément besoin d’argent. Et je me disais que si je vous aidais, vous
pourriez être assez reconnaissants pour me laisser partir. Je ne demande rien
de plus, seulement finir cette journée pourrie dans mon lit !
- Je ne te crois
pas !
- Et tu crois quoi ?
Que je veux partager la rançon avec vous ?
Il faudrait
faire vite, au fait, avant que votre pigeon ne s’envole. »
Ils s’étaient
tus et semblaient soupeser mes allégations. J’ai ajouté alors que je pouvais
même les aider à la ferrer, à condition qu’ils me libèrent juste après.
Ils ne prirent
pas le temps de se concerter, l’imbécile heureux agit avec méfiance cependant.
Il me remit le bandeau sur les yeux, pour que je ne reconnaisse pas leur
quartier, et dénoua la corde de mes chevilles. Ils me firent descendre, en me
tenant de part et d’autre, par un escalier raide, et l’un d’eux m’expliqua
qu’il devra me ligoter au siège arrière de ma voiture, pour que je ne tente
rien. Il me couvrit d’une sorte de bâche, et m’assura qu’il me libérera dès
qu’ils seront proches des abords de l’hôpital.
Nous sortîmes de
ce qui me sembla être un parking souterrain, l’inclinaison de mon corps vers le
fond de la banquette, me conforta dans cette idée. Puis les bruits de la
circulation se firent entendre.
Je vous ai
rapporté ici toute la conversation, mais elle ne s’est pas déroulée de cette
manière exactement. Le langage utilisé par les deux malfrats était clairement
moins élaboré que celui que j’ai transcrit, et beaucoup plus vulgaire et
ordurier aussi. Mon jugement les concernant, était également bien plus sombre
que les petits mots méchants que j’ai pu glisser ça et là.
Me voilà donc couchée
sur le petit siège arrière de ma voiture (vous voyez la scène, c'est une deux portes), ballottée et cahotée en aveugle. J’avais
l’impression d’être un mouton à la veille de l’Aïd qu’on ramène à la maison
pour le sacrifice. Les sueurs froides commençaient à revenir, mon corps
frissonnait, et mon cœur qui tambourinait de peur et de stress n’attendait
qu’une occasion pour s’échapper de ma cage thoracique.
Après plusieurs
minutes qui se sont éternisées pour moi, tellement mon état allait de mal en
pis, nous nous sommes arrêtés enfin. J’ai entendu le chauve demander à
son acolyte de bien regarder les voitures stationnées et j’en ai déduit que
nous étions arrivés à destination.
On me retira la
bâche, et deux mains se glissèrent à l’arrière pour couper mes liens.
« – Tu peux
enlever ton bandeau et te rasseoir, m’a dit le cerveau de l’opération. Elle est
encore là cette dinde !
Voyant que je ne
réagissais pas vraiment, il s’est retourné vers moi.
En fait, par un
effort surhumain, j’avais pu retirer le foulard. Mais mon corps était si
tétanisé et ma respiration hiératique, que j’étais incapable de bouger plus.
- Merde !
dit-il, elle est en train de clamser, elle est toute bleue.
On ferait bien
de foutre le camp maintenant qu’on a trouvé la bonne ! »
Ils descendirent
précipitamment de la voiture et s’enfuirent rapidement.
Quant à moi, je
suffoquais littéralement. Et le fait de ne pas retrouver mon aérosol dans mon
sac ajoutait à mon état de panique.
A propos, vous
avais-je dit que j’étais asthmatique ?
Épisode 4 et épilogue.
J’ai rassemblé mes
dernières forces pour rouler et tomber au sol. Une douleur éclatante explosa
sur mon flanc. Pour quelle raison il y a toujours un truc bombé entre les deux
places arrière ?
L’instinct de
survie m’avait soufflé de regarder sous le siège avant. Et j’ai retrouvé enfin
ma Ventoline qui était bien cachée, depuis mon épisode de tamponnade.
Après quelques
bouffées, ma respiration a repris un bruit un peu plus humain que le râle
gallinacé que je poussais. C’est alors que j’ai pensé à la malheureuse qui
avait dû être kidnappée à son tour.
Comme je
connaissais son nom et la marque de sa voiture, je n’avais qu’à appeler la
police pour les prévenir et leur raconter ce qui m’était arrivé par la même
occasion. Je prévoyais de téléphoner également l’entreprise Madani pour informer
sa famille. Mais avant tout, je me suis assurée qu’il n’y avait pas de Mini-Cooper aux alentours.
J’ai débité mon
histoire, enfin en résumé, et leur ai demandé de faire d’urgence un appel
général à tous les policiers aux carrefours pour retrouver la voiture de mademoiselle
Madani, qui avec un peu de chance, se trouvait encore dans la circulation et
pouvait être interceptée rapidement.
Je sais, je
regarde beaucoup les séries policières…
L’agent au bout
de la ligne ne s’est pas démonté. Il m’a calmement fait savoir qu’il fera le
nécessaire en temps voulu et qu’il prenait ma plainte au sérieux. Il s’est
enquis de mon nom et de ma position, et m’a informé qu’une patrouille de police
allait venir me chercher, pour que je puisse tout leur raconter de vive voix.
Cinq minutes
plus tard (j’exagère un peu, ça devait être dix), je me suis retrouvée à
l’arrière d’une fourgonnette de police qui roulait à tombeau ouvert vers le
commissariat central. Mon sac serré sur les genoux, je jurais et pestais contre
le mauvais sort qui m’avait fait lever ce jour, et celui surtout qui m’a
soufflé l’idée de faire enlever le sabot de ma voiture.
Elle était
bloquée ce matin… tous les signaux étaient rouges ! C’était comme si un ange gardien
était passé et m’avait dit de ne pas me lever, de ne pas la prendre… alors
pourquoi je me suis acharnée à la débloquer ?
Oui, oui, c’est
bien d’un ange dont je parle. Qui d’autre aurait pu me rendre malade au point
d’avoir du mal à me lever ce matin, qui a trafiqué l’ascenseur depuis plusieurs
jours, et qui a enfin alerté les contrôleurs de Parking Sarl pour immobiliser
ma voiture ?
J’exagère
peut-être dans mon délire, mais je vous assure que moi, recroquevillée sur mon
siège à côté de personnes, plus que louches, dans cette fourgonnette d’enfer, j’avais
exactement cet état d’esprit.
Il y a toutes
sortes d’anges et de diables qui nous veillent, et j’avais la certitude que les
miens m’avaient donné toutes sortes d’alertes que je n’ai pas su décrypter. Pourtant
j’avais expliqué aux policiers de la patrouille que c’était moi qui avais
téléphoné pour reporter la possibilité d’un kidnapping. Mais ils ne voulaient
rien entendre. Ils ne m’ont même pas permis de les suivre en voiture et ont
prétendu que par mesure de sécurité ils préféraient que je sois avec eux. Soi-disant
par crainte des ravisseurs.
On est arrivé au
commissariat et ils ont descendu tout le monde, moi compris. J’ai bien cru
qu’avec ma journée de malchance, on allait me confondre avec les malotrus
menottés de ma banquette. Mais on m’a mis à l’écart, et conduit dans le bureau
d’un inspecteur. Il s’est d’ailleurs présenté comme tel, et avec son visage
maigre et pincé, sa moustache et sa chemise boutonnée jusqu’au col râpé, on ne
pouvait pas le confondre avec un autre. Il était l’archétype des inspecteurs de
police tels que je me les imaginais.
Après m’avoir
réclamé ma pièce d’identité, il m’a demandé de raconter mon histoire. Ce que
j’ai fait sans omettre aucun détail, du rapt bien sûr, et non de mes problèmes
d’avant. Puis il a appelé un subordonné et lui a ordonné de transcrire ce que
j'allais dire. Et j’ai dû relater une deuxième fois ma version. J’étais sous
tension et ne comprenais pas pourquoi on me demandait de me répéter. L’inspecteur
m’interrompait de temps en temps pour préciser de nouveaux détails, ou revenir
sur le déroulement de l’histoire… et moi, qui commençais à m’empêtrer, à avoir
des confusions. J’étais fatiguée, j’avais faim et soif, et avais réclamé un
verre d’eau qui tardait à venir… je me sentais fiévreuse aussi, la tête en étau…
Et les questions qui continuaient : pourquoi m’avait-on pris pour la fille
Madani ? Pourquoi on m’avait relâché ? Est-ce que je connaissais mes ravisseurs ?
Vous avez dit que l’un était souriant et avait un air sympathique au début,
pourquoi avez-vous eu cette impression ? Etc., etc. ça n’en finissait pas.
J’ai bien essayé
de lui glisser que l’urgence était de retrouver la fille, mais il m’a dit que
je n’avais pas besoin de me préoccuper de ça, et que d’autres collègues s’en
occupaient. Une fois que nous avons terminé l’interrogatoire, il m’a informé
que je devais voir le commissaire avant de signer ma déposition. Son assistant
m’a conduit donc à son bureau, et là de nouveau on me demanda de reprendre mon
histoire depuis le début.
Je sais exactement
à quel moment je me suis évanouie. En fait, j’étais assise sur cette chaise
inconfortable et j’ai essayé d’ouvrir la bouche pour parler, mais les mots sont
restés coincés. Mon gosier était si sec et ma langue lourde que ma respiration
s’est arrêtée. Je me suis sentie ramollir, un rideau noir a commencé à voiler
ma vue et je suis tombée à la renverse.
Au réveil
j’étais dans une chambre d’hôpital, Docteur Tarik Rachdi à mon chevet.
« On peut
dire que tu soignes tes entrées... Et que tu prends tout ton temps pour venir à
tes rendez-vous, reprit-il, les yeux malicieux.
Tu es ce qu’on
appelle une sorte d’héroïne, poursuivit-il devant mon air effaré. Tu as été
ramenée dans une ambulance escortée par la police. »
Il me précisa
également que le commissaire avait tenu à m’accompagner à l’hôpital, et qu’il
lui avait raconté le fin mot de l’histoire. Nora Madani possédait un portable
de la dernière génération, qui avait une application de géolocalisation. Son
père, qui avait été rapidement contacté, avait proposé qu’on la retrouve par ce
moyen, elle avait déjà fugué et il s'était depuis assuré d'activer cette fonction dans son téléphone. Le reste a
été un jeu d’enfant. On a trouvé la fille encore endormie, et on l’a transportée aux
urgences également. Elle était là encore, avec sa famille et ils souhaitaient me
remercier, si je voulais bien les recevoir, me précisa-t-il.
J’ai acquiescé
et regardé ma montre, 18 heures. Dieu merci, la journée est presque terminée,
me suis-je rasséréné.
« A quelle heure je suis arrivée ici ?
- À 14 heures. Mais
tu avais l’air tellement mal en point, que j’ai préféré te faire dormir un peu
plus. J’en ai profité pour t’ausculter et procéder à toutes sortes d’examens et
d’analyses. Rassure-toi, ce n’est qu’une mauvaise grippe. Je pense que les cauchemars
que tu as eu cette nuit sont dus à la montée de fièvre. Les courbatures, la
tachycardie et les maux de tête font partie des symptômes grippaux aussi. Je
vais te prescrire également une crème à l’Arnica, il y a une grosse contusion
sur ta hanche.
Tu peux rentrer
chez toi ce soir même si tu le veux, conclut-il. Je sais que les chambres ici
ne sont pas très confortables. »
La prudence m’a
bien soufflé de rester, je me sentais encore malade et incapable de mettre un
pied hors de cet hôpital. Il aurait été préférable que je finisse ma journée
dans un environnement sécurisé, et quoi de mieux qu’un lit médicalisé. Mais je
ne suis pas faite de ce bois, et puis je ne voulais pas me montrer faible et
vulnérable devant les dents brillantes de mon médecin.
Il s’est proposé
de me ramener chez moi dès qu’il aura fini son service, mais j’ai décliné
poliment. Ma voiture était encore dehors, à la porte de l’hôpital. Il est parti
appeler la famille Madani, en promettant de préparer rapidement ma feuille de
sortie.
J’ai fait preuve
d’une patience exemplaire. J’étais prête à subir les dernières foudres de cette
journée maléfique. L’infirmière qui avait pris mes affaires à mon arrivée était
déjà partie et on a cherché à la joindre pour lui demander dans quel casier
elle les avait déposés. Une fois que j’ai récupéré mon sac et ma veste, j’ai dû
attendre encore à l’accueil ma feuille de sortie et ma facture. Puis une fois le
tout réglé, je suis sortie du bâtiment et j’ai reçu une trombe d’eau. L’orage
avait éclaté une heure plus tôt, il pleuvait à verse. J’ai dû me dépêcher de
traverser le jardin et les allées, devenues marécageuses, du CHU.
Il était neuf
heures du soir et ma voiture avait disparu. Je vous assure, je ne l’ai pas
trouvée.
Je suis revenue
à la guérite de l’hôpital et un des vigiles m’a expliqué qu’après l’heure des
visites, la dépanneuse récupère tous les véhicules stationnés pour les mettre à
la fourrière. Question de sécurité.
J’ai été tentée
de rappeler "Mon" docteur… vraiment… Mais ayant bien réfléchi à tous les
déboires que j’avais eus depuis le matin, et l’état ou je me trouvais en ce
moment, avec mes vêtements mouillés et de la boue jusqu’aux genoux, j’ai renoncé.
Je lui aurais fait peur. J’ai donc pris un taxi, en priant très fort pour arriver
saine et sauve.
Après un bain
chaud, j’ai glissé sous ma couette, en savourant le bonheur de retrouver mes
repères. J’avais auparavant allumé quelques bougies pour éloigner les mauvais esprits
et mis un peu de musique douce.
Avant que le sommeil
ne m’emporte, j'ai réalisé une chose. Plutôt deux : La
première c’est que tout au long de la journée, et même après mon réveil à l’hôpital,
je n’ai appelé personne pour m’aider : J’étais fière d’avoir pu m’en sortir toute
seule.
La deuxième,
c’est qu’étant d’une nature profondément optimiste, il me plaît de penser qu’on
naît avec un nombre limité de choses positives et négatives à subir. Ma journée
ayant explosé le compteur du mauvais, je sentais que j’étais parée pour
quelques années au moins.
J’en ai conclu
que tout n’était pas si terrible, puisque je me suis découvert un moral
d’acier, et que seul mon corps suivait pas. Je me suis
endormie pleine de résolutions, me promettant de commencer à faire du sport
très bientôt.
Ceci étant, l’histoire
aurait pu mieux se terminer si j’avais revu mon beau docteur. Que nenni !
J'ai appris qu'il allait se marier avec Nora Madani. Oui, cette garce en sac Gucci que j'ai sauvé des ravisseurs. Pire encore, je ne suis même pas invitée à leur mariage ! C'est pourtant grâce à moi qu'ils se sont connus. Non ?