Profil

Ma photo
Artisan orfèvre des mots Spécialisée en filigrane.

vendredi 12 août 2016

Nouvelle : Une journée en enfer

C'est une nouvelle légère et un peu noire... que je publierai en épisodes.

Avertissement de l'auteur : Toute ressemblance des personnages premiers, secondaires ou même tertiaires, avec des personnes que les lecteurs ont connu, connaissent où seront amenés à fréquenter, est purement fortuite :) .


Épisode 1.

C’était une de ces journées où dès le réveil tout va mal, un jour qu’on a envie d’effacer de sa mémoire. Une journée où les minutes, les secondes, se sont égrenées à un rythme si lent que l’on pourrait croire que chaque instant a compté pour au moins une heure. C’était comme si on vous projetait dans un film au ralenti et vous obligeait à en être l’acteur. Que vous étiez le pantin d’une grosse farce de l’univers, sans nul contrôle sur les événements intenses qui se succèdent à un rythme effréné. Aucun, sauf de subir et d’espérer en arriver à bout en restant vivant, et plus ou moins indemne.
Quand on parle de la création du monde en six jours, je le comprends enfin ! Et si chaque seconde de notre vie sur terre représentait un million de jours pour notre grand Artisan ?
Voilà que je deviens philosophe !
Et tout d’abord une nuit agitée, peuplée d’hallucinations, de claquements de dents, de chaleur et de transpirations. Je me suis réveillée… Non, je me suis forcée à émerger du cauchemar récurrent qui faisait tambouriner mon cœur, la bouche nauséeuse et des sueurs froides enveloppant mon corps endolori.
Le combat pour en sourdre m’a laissé des traces : un dos raide, des courbatures partout, et un mal de crâne pulsant, l’impression qu’un marteau s’était insidieusement glissé sous mon scalp et s’en donnait à cœur joie.
Rien dans mes souvenirs de la veille ne pouvait justifier cela. J’avais eu une journée des plus insipides et assommante : un briefing, en début de matinée, à s’en décrocher la mâchoire, quelques visites médicales à mon réseau de médecins blasés qui m’ont soutiré quelques échantillons et ont égratigné mon calme placide de leurs blagues triviales. Quelques poignées de mains appuyées, très appuyées, et d’autres paumes qui se sont glissées sur mes épaules et se sont furtivement baladées sur mon dos, en bas du dos…
Que du normal ! C’est la profession qui veut ça, ou la culture, ou je ne sais pas…
Je n’ai jamais compris pourquoi les hommes se croient tout permis dès qu’on les sollicite pour quelque chose... Il y a toujours dans leurs regards, leurs gestes, leurs attitudes, un soupçon de donnant-donnant. Mais mon métier est déléguée médicale, et j’ai appris à sourire poliment et à leur cracher dessus de l’intérieur.
Alors que s’est-il passé une fois endormie ?
J’ai l’impression d’avoir été enlevée par des extra-terrestres, ou que des diables se sont emparés de mon corps et de mon esprit et m’ont fait vivre une équipée extrême. Mais peut-être était-ce seulement mon sixième sens, cette perception de danger imminent, qui me préparait à l’enfer que serait ma journée.


Épisode 2.


Je n'ai rien ressenti, lorsque j'ai pivoté du lit pour poser mes pieds par terre et me relever. Littéralement. Je voyais mes pieds, là, et je ne sentais rien... Ils étaient comme détachés de mon corps, des moignons morts, des extensions qu'on m'a ajoutées pendant mon endormissement. J'essayais de bouger mes jambes pour activer la circulation, faire des moulinets, comme je leur ordonnais, mais dès que mes voûtes touchaient de nouveau le sol, la sensation de froid ou de chaud remontait comme enveloppée, en nuage floculant.
C'était comme si le courant alternatif allait dans le centre de commande et qu'il ne retransmettait pas correctement. Mes synapses s'étaient déconnectée, ou avaient choisi de répondre à un stimuli et pas un autre.
Je ne suis pas d'une nature anxieuse ou hypocondriaque, mais ces symptômes m'ont semblé plutôt sérieux. J'ai réfléchi à une explication raisonnable à ce grand bouleversement de mon organisme, et le diagnostic auquel je suis parvenue est... tumeur au cerveau.
Et là mon cœur a fait un bond, de grands frissons me traversèrent. Plus j’y pensais, plus je trouvais ma prédiction plausible...
Je tiens à préciser tout de suite que je ne suis absolument pas médecin ou pharmacienne, ni paramédicale d’aucune sorte, d’ailleurs. Oui, j’en côtoie tous les jours, mais je ne suis pas membre de la "noble profession médicale". J’ai fait des études de marketing et trouvé un poste dans un laboratoire pharmaceutique. Et après quelques formations à droite à gauche, j’ai été déclarée apte à aligner un laïus (appris par cœur), et digne des plus grands spécialistes. Mais je n’ai rien d’un docteur.
Et en parlant de ces derniers, j’en connais beaucoup et non des moindres, mais un en particulier a percuté mon cerveau malade. Il est célibataire, c’est sa plus grande qualité, et moi ça fait très longtemps que je cherche à me marier.
C’est donc sans hésitations que je me suis penchée vers ma table de chevet pour prendre mon téléphone. Et devinez quoi ? Il était éteint… Il n’avait plus de batterie, j’avais oublié de le recharger la veille.
Jusque là, tout pouvait encore passer pour du "semblant normal". Je l’ai branché donc et attendu, patiemment, qu’il veuille bien s’allumer. Ceux qui ont des Smartphones comprendront de quoi je parle : les secondes qui s’étirent et deviennent des minutes, regarder bêtement un petit écran qui se ranime en chargeant toutes les applications, accrocher enfin le réseau… Et gare à vous, si vous touchez la moindre chose pour accélérer le processus, vous ne feriez que le retarder, puisqu’il cherchera l’appli que vous avez incidemment activée en appuyant au hasard, et tardera d’autant plus à se mettre en marche.
Une gorgée d’eau pour m’éclaircir la voix, et me voilà prête à parler au Docteur Tarik Rachdi. Il va sans dire que j’avais son numéro de portable. Envisager d’aller aux urgences a furtivement effleuré mon esprit, mais j’ai très vite éloigné cette idée ridicule.
Outre que les files d’attente étaient infinies et pouvaient durer des jours (ce n’est pas pour rien qu’on appelle les malades des patients [je ne pouvais pas m’empêcher de la faire, celle-là. J’en vois déjà qui roulent des yeux]). Bref, on pouvait tomber sur de soi-disant internes, en réalité étudiants de troisième année de médecine, qui vous donnaient des génériques de Doliprane, en dosage pédiatrique…
Et puis, le népotisme est trop attrayant… Pourquoi se fatiguer à attendre son tour, lorsqu'on pouvait, par un simple coup de fil, passer devant tout le monde ?
Pour en revenir au sujet du Docteur Rachdi, il m’a donné rendez-vous à dix heures trente. Inutile de dire que c’était d’une grande gentillesse de sa part… qu’il prenne spécialement tôt son service à l’hôpital… pour moi ? Pour moi ! Il le fait pour moi, me répétais-je bêtement, un sourire idiot décrispant mes lèvres sèches. Si je n’avais pas été aussi malade, j’aurais sautillé de joie.
Et après les rires et les moqueries d’usage sur mon pronostic vital, mes remerciements chaleureux pour sa diligence, je me suis enfin levée. La lueur d’espoir, allumée dans mon esprit, avait suffisamment réchauffé mes vaisseaux pour remettre le courant dans mes jambes.
Mais ça n’allait pas vraiment bien. Et je me suis traînée tant bien que mal vers la salle de bain, sans prendre le risque d’entrer dans la douche. Je frissonnais, mon dos était à moitié bloqué et j’avais peur de tomber dans les pommes. Mais j’ai pris soin de passer un gant de toilette mouillé sur les endroits stratégiques, porteurs généralement d’odeurs nauséabondes.
Encore émoustillée par les flatteries de mon supposé prétendant, je me suis trouvée presque belle dans mon miroir, et en ai profité pour souligner mes yeux au Khôl. Mes prunelles étaient plus brillantes que d'habitude. J’ai envisagé d'en faire plus, mais je devais rester crédible dans mon rôle de malade.
L’ascenseur étant en panne depuis une semaine, j’ai descendu en crabe, lourdement arc-boutée sur la rampe, les 44 marches jusqu’au rez-de-chaussée, et une fois dans la rue, j’ai trouvé ma voiture immobilisée par un sabot.
À partir de là, j’ai commencé à hésiter : devais-je la prendre, en appelant, bien évidemment, le service concerné et payant l’amende, ou bien ne valait-il pas mieux remonter chez moi, me recoucher, et attendre que ça passe ?
Puis j’ai compté le nombre d’embarras que j’avais eu depuis le réveil : En un les cauchemars, en deux mon malaise général, en trois l’ascenseur en panne, mais celui-là durait depuis plusieurs jours déjà. Une chance que j’habite au deuxième étage seulement. En trois donc, le sabot. Voilà ! Le compte est bon, me suis-je réconfortée. Jamais deux sans trois, comme on dit ! J’avais conjuré le sort, plus rien de mal ne pouvait m’arriver.
Encore heureux que le trois n’ait pas été un accident, ou pire que ça, que je n’aie été victime d’une erreur médicale ! Imaginez, être sur le billard pour une intervention prévue pour quelqu’un d’autre? Me faire enlever un organe, ou une opération à cœur ouvert... mais je déraillais à ce moment-là et dans ces cas-là mon imagination devient très fertile.
Restons calmes, me répétais-je essayant de me montrer raisonnable. Tout cela pouvait passer pour de l’ordinaire : d’habitude, je sors de chez moi avant huit heures, ce qui veut dire avant le début des horodateurs. Ma maladie avait donc entraîné ce contrecoup. Rien ne servait de me morfondre ou de penser que le cosmos avait une dent contre moi.
Et puis, j’avais vraiment besoin de voir un médecin. Et l’occasion de rencontrer Docteur Rachdi en tant que patiente, libre par conséquent de ma réserve professionnelle, était beaucoup trop belle pour que je la gâche avec mes superstitions puériles.
Déterminée à continuer, me voilà au premier carrefour où j’ai dû freiner brusquement : la voiture devant moi avait décidé de s’arrêter net dès le premier clignotement du vert, avant même qu’il ne passe à l’orange.
La peur du gendarme pousse à des excès ! C’était un policier, en l’occurrence, posté pour une fois au carrefour. Mais il semblait si occupé à parler au téléphone et tirer sur sa cigarette, qu’il n’a pas entendu nos pneus crisser.
Serait-il caricatural de dire que j’ai tamponné le véhicule devant moi ?
Oh ! à peine. Mon sac a sauté du siège en déversant son contenu, et le conducteur est sorti voir les éventuels dégâts sur son pare-choc et m’a lancé un regard bien noir. Je me suis bien enfoncée dans mon siège, où, accrochée au volant, j’espérais devenir invisible. Puis, j’ai sursauté de peur en entendant des coups secs frappés directement sur ma portière. Mais ce n’était, fort heureusement, que le mendiant handicapé, un peu simple d’esprit, qui fait la manche tous les jours à cette intersection.
Mon soulagement fut de courte durée. Ne pouvant rien lui donner, pour cause d’incapacité à accéder à mon porte-monnaie (– d’autant qu’à cause de mon Lumbago, je ne pouvais absolument pas me pencher pour le prendre), il a commencé à s’énerver, à m’insulter en me traitant de tous les noms… heu… que je n’ose même pas reporter ici. Et des coups de poing sur ma porte, et du dégage de mon feu…. Etc.etc.etc.
J’avais pris soin pourtant de lui expliquer mes déboires, mais c’est à peine s’il ne m’a pas craché dessus.
Les yeux me sortaient des globes, je ne l’avais jamais vu en état de crise, et le seul réflexe que j’ai eu a été de remonter très vite ma vitre.
Ça m’apprendra, me morigénais-je, bien calfeutrée dans l’habitacle sécurisant de ma petite voiture. Je vais redevenir partisane du concept de Mao : ne leur donnez pas de poisson, apprenez-leur à pêcher.
Cela étant, j’ai repris mes comptes. Est-ce que le mendiant pouvait être classé trois sur l’échelle de la poisse ? Et le léger accrochage ? Devais-je le considérer aussi, même s’il n’a eu aucune conséquence ? Parce que si je dis que le sabot était normal (vous suivez toujours ?), lequel de ces deux incidents je devrais chiffrer pour finir mon décompte ? Mes neurones carbureraient à plein régime. Et si j’étais en train de commencer une nouvelle phase ?
C’est peut-être la loi des séries qui s’applique dans mon cas, et si je devais endurer trois cycles de trois ?
Mon inquiétude croissait à chaque courbure de route.
Arrivée à l’hôpital, je me suis garée sur le trottoir, un peu loin de l’entrée, à une place que miraculeusement un gardien m’a indiquée. Il avait une bonne tête et m’a souri.
C’était de bon augure, j’ai senti que le vent était en train de tourner en ma faveur. Il a même fait du zèle en ouvrant ma portière. J’ai porté mon regard vers ma besace retournée, puis vers lui. Et vu qu’il avait un air sympathique et qu’il était gardien sur le trottoir de l’hôpital, après tout, me disais-je pour me tranquilliser. Je lui ai demandé s’il pouvait récupérer mon sac, lui donnant les explications nécessaires concernant mon dos.
Son sourire s’est élargi, mais je suis restée bien en place, pour le surveiller et m’assurer qu’il n’allait rien subtiliser au passage.
j'eus à peine le temps de comprendre qu'au lieu de se pencher vers mon sac, il s'est assis à côté de moi. Il sentait un peu l'alcool, ou plutôt le chloroforme. J'en eus la confirmation à la seconde où il a plaqué un chiffon sale contre ma bouche, juste avant le black-out.


Épisode 3.

Avant de continuer, il faudrait peut-être vous expliquer qui je suis. Parce qu’au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, plus haut, j’ai reçu zéro aide, depuis mon réveil. Et je n’étais pas près d’en avoir, puisque ma famille a décidé de me renier, presque, depuis que j’ai quitté le "Cocon" parental.
Ça a créé un tel scandale !
Quoi ? La fille untelle vit seule ? Et sa famille habite dans la même ville ?
Les raisons de mon départ seraient trop longues à expliquer. Disons seulement qu’après le décès de mon père, mon frère, qui était au chômage, a décidé de venir habiter avec nous, et qu’il a apporté dans son panier femme et enfants ; que ma grande sœur (divorcée et vivant sous le même toit) est insupportable et veut régenter la vie de tout le monde. Et enfin, et non moins important, je n’avais besoin de personne pour me rappeler que mes cousines, mes copines, les amies de mes amies et la plupart des gens de ma génération étaient mariés, et avaient déjà un gosse ou deux.
Non pas que je ne veuille pas me marier, si je pouvais trouver quelqu’un de convenable, je ne me ferais vraiment pas prier, mais j'en avais marre d'entendre toujours le même disque rayé, qui racle là où ça fait mal.
Vous n’aviez pas remarqué que ce genre de conseils matrimoniaux est plus facilement servi par les plus mal lotis ?
Pour en revenir à ma famille, vous connaissez le topo, je ne vais pas tout vous rabâcher. Ils n’ont pas coupé complètement les ponts avec moi, je les vois encore, à quelques occasions... mais pas question de demander assistance. Ce serait le coup à recevoir des réponses cinglantes du genre « Tu vois ? », ou bien « je le savais ! » « On te l’avait bien dit ! », et ainsi de suite...
J’étais suffisamment âgée, et surtout, j’avais un salaire confortable qui me permettait de sauter ce pas. Je l’ai donc fait aisément et ne l’ai jamais regretté, sauf en ce moment. Mais je me mordrais plutôt la main, que de demander de l’aide. Je suis une personne adulte et responsable, je vais assumer mes problèmes et boire mon calice jusqu’à la lie.
Ceci étant éclairci, je reviens à ma journée infernale, où j’ai émergé des vapes dans un endroit sombre. Je ne voyais rien d’abord et il y avait une pression terrible sur mes paupières. J’ai réalisé, plusieurs secondes plus tard, qu’on m’avait attaché les mains et les pieds par des liens en cordes, et mis un cache-yeux.
Une lame de fond m’a soulevé l'abdomen, mon angoisse était si forte, que j’ai cru que j’allais vomir. Et les palpitations désordonnées de mon cœur provoquaient un tel séisme dans mon organisme, qu’une chair de poule traversait en vagues l’ensemble de ma peau.
J’entendais clairement ce qui se disait autour de moi, néanmoins. Il était question de kidnapping, et d’appeler mon père pour l'informer qu’on détenait sa précieuse fille, et d’autres choses du même acabit.
Cela m’a quelque peu rassuré, j’ai tout de suite compris qu’il y avait eu erreur sur la personne. Je n’avais jamais trouvé qu’il y avait un avantage à être orpheline jusqu’à cet exact moment. Et puis, même si mon père, que Dieu ait pitié de son âme (et de la mienne par la même occasion), avait été vivant, il n’aurait jamais pu leur payer la somme astronomique qu’ils semblaient réclamer.
Ils se chamaillaient également sur le timing : l’un voulait appeler tout de suite et l’autre disait qu’il valait mieux laisser mijoter la famille au moins vingt-quatre heures, pour bien leur mettre la pression et qu’ils cèdent plus facilement.
J’ai décidé d’intervenir à ce moment-là.
Outre que je cherchais à rectifier leur méprise, devoir attendre, ne serait-ce que quelques heures de plus, dans cette pièce qui sentait l’humidité et la pisse froide, aurait été au-dessus de mes forces.
Ayant pu me libérer du bandeau, après quelques frottements contre la sorte de matelas où j’avais été jetée, j’ai discrètement ouvert les yeux et découvert mes ravisseurs. Il y avait le gardien de voitures de l’hôpital, et un autre avec une tête patibulaire. La pièce où j’étais retenue prisonnière ne faisait pas plus de 20 mètres carrés, et possédait une petite lucarne grillagée au raz du plafond. Les murs étaient écaillés et engorgés de moisissures, et le sol d’une saleté repoussante. J’ai aperçu également des toilettes à la turque encrassées, derrière une porte entrouverte.
Je n’eus pas besoin de parler pour les interpeller, la salve d’éternuements, due à l’excès d’humidité que j’inspirais, le fit à ma place. Mon gardien se tourna vers moi en souriant, et se renfrogna juste après en réalisant que je le voyais. L’autre énergumène, qui avait une tête chauve, des yeux rapprochés et les dents en moignons, me fixa avec une telle méchanceté que j’ai cru que ma dernière heure était arrivée.
Mais passé ce premier réflexe, je me suis rappelé qu’ils me prenaient pour quelqu’un d’autre.
Mon assurance est revenue, et j’ai même envisagé qu’ils me relâchent. Ma petite sieste forcée, mine de rien, m’avait fait du bien. Je me sentais plus revigorée et mon instinct combatif refluait au grand galop. C’est donc sans état d’âme que je leur ai donné mon nom, leur proposant même de regarder dans mon sac pour vérifier mes papiers.
« – Comment ça ? Ce n’est pas la fille de Hajj Madani ? demanda le vilain, à mon ex-gardien de voiture.
– Quoi ? Vous me prenez pour la fille de Madani ?
Pour un peu j’aurais éclaté de rire. On parle bien de celui qui a les usines, les immeubles, l’assurance, et tout ce qui s’en suit…
« Vous croyez qu’une fille comme ça aurait le genre de besace que vous fouillez, là ?, poursuivis-je. C’est le sac d’une milliardaire ça ? Ce n’est ni un Louis Vuitton ni un Chanel, mais juste un truc que j’ai acheté chez Zara. »
Si vous me demandez aujourd’hui pourquoi j’ai fait référence à la marque de mon sac en premier, je serais incapable de vous répondre sincèrement. Je suppose que le milieu que je fréquente est si basé sur les apparences et le bling-bling qu’un sac peut être à lui seul une preuve d’identité sociale. Je parle des vrais, bien sûr, pas les imitations, qu’on détecte à un kilomètre à la ronde. Méfiez-vous à ce propos d’ailleurs, c’est le coup à vous faire descendre très bas dans l’ascenseur de considération communautaire.
Il y a certaines réactions qui se sont tellement incrustées dans notre façon de vivre, comme de regarder les légers signes sur les chemises et pulls, la marque des Jeans, la couleur des semelles, ne parlant même pas des bijoux (– qu’on met maintenant arrivés en soirée seulement), que cela devient un réflexe. On peut, d’un coup d’œil, soupeser et évaluer chaque personne qu’on rencontre pour la première fois. On s’est transformé en sortes de porteurs de publicité ambulants. Le pire c’est qu’on est volontaires pour ça, on paye cher même pour l’être. Mais bon, on n’est pas en train de faire une étude sociologique ici…
J’en étais à l’autre brute, qui semblait aussi perplexe que son acolyte.
« – Mais, tu m’as dit d’intercepter la fille qui devait venir avec une petite voiture deux portes de couleur bleu ciel.
– Eh Bien... Oui ! Mais ce n’est pas cette fille ! Maintenant que je la vois bien, je ne crois pas que ce soit elle.
– Attendez un peu, ripostais-je. La fille Madani a la même voiture que moi ?
Quelque part, ça me réconfortait de savoir qu’une fille de la haute pouvait rouler dans un véhicule identique au mien. Cela voulait dire qu'on était pareilles, dans une certaine mesure, dans une sorte de monde parallèle.
– Tu as quoi comme voiture, toi ?
– Une Renault Twingo, dis-je, les narines palpitantes de fierté. J’avais de quoi m’enorgueillir, je la payais cher encore sur mon salaire.
- Et voilà !, dit-il en me jetant un regard condescendant. Puis se tournant vers son compère : Je savais que tu t’étais trompée quelque part. Elle, elle a une Mini-Cooper convertible.
Il me fixa de nouveau. Elle est décapotable ta voiture ?
Ma tête alla de gauche à droite frénétiquement.
« Tu vois ? Imbécile !, lança-t-il à son complice. Même si tu ne sais pas lire, tu aurais dû regarder au moins le toit. »
Là, je peux vous dire que je me suis sentie vraiment humiliée. J’avais presque envie de lui dire que j’avais une certaine valeur aussi, que je pouvais également leur rapporter quelque chose. Mais je me suis retenue à temps. Les chamboulements que je subissais, depuis le matin, m’avaient réellement retourné le cerveau. J’en étais presque au syndrome de Stockholm.
Mon ex-gardien me regarda même avec une lueur de sympathie, sa bonhomie était revenue. On sentait vraiment qu’il était désolé pour moi, et j’ai compris pour ma part que je venais d’entrouvrir une petite fenêtre pour me sortir de là.
L’autre continuait sur sa lancée : « J’avais bien préparé le coup, en plus ! j’ai freiné ma moto pile devant elle, pour qu’elle me bouscule. Je me suis même fait un peu mal en tombant. Et toi tu viens tout gâcher ! Je savais qu’il ne fallait pas compter sur toi !
La fille était prête à me suivre n’importe où, pourvu que je ne porte pas plainte contre elle, et que ses chers parents n’en soient pas informés.
– Mais arrête enfin, j’ai fait ce que tu m’as dit !
J’en ai marre de recevoir des ordres tout le temps ! Celle-là aussi venait d’arriver à l’hôpital. Tu crois que j’ai eu le temps de lui demander si c’était elle qui avait eu un accident avec une tête de singe ?
– Et tu t’es vu toi ? Tu penses être mieux que moi ? »
Ils allaient presque en venir aux mains, quand une nouvelle salve m’a secoué.
Je les ai suppliés de me libérer au moins les poignets pour que je puisse me moucher. Mon nez coulait de façon ininterrompue, ce qui eut l’air de les dégoûter. L’un d’eux me balança mon sac, et l’autre défit mes liens. Je me suis jetée sur ma boîte de mouchoirs de poche, je respirais désormais par la bouche.
Ils me mettaient en garde, entretemps, de tenter la moindre esquive. Je n’aurais pas pu, même si je le voulais. Entre mes pieds entravés et le molosse qui montrait ses dents jaune moutarde, mon envie de fuir avait depuis longtemps pris la poudre d’escampette. Je comptais plutôt sur leur compréhension, ou sur celle de l’un d’eux au moins. Et pendant que je me mouchais fortement, j’ai réfléchi aux solutions possibles qui s’offraient à moi.
Mais ils recommençaient à se battre et à s’insulter à qui mieux mieux. L’ex-souriant écumait de rage maintenant, et l’autre l’avait empoigné et lui faisait une clé de bras. Mon pessimisme est revenu pour me souffler une évidence que j’avais occultée depuis le début : puisque je n’étais pas la personne qu’ils voulaient, ils allaient m’éliminer…
En effet, maintenant que je connaissais leur plan, pourquoi allaient-ils me libérer et prendre le risque que je les dénonce ?
Leur colère venait aussi du fait qu’ils voyaient s’envoler les millions dont ils avaient rêvé, à cause d’une erreur de parcours (moi, en l’occurrence).
J’ai regardé subrepticement ma montre et vu qu’il était à peine onze heures, les mots sortirent de ma bouche avant même que je n’aie le temps de peaufiner mon stratagème. J’essayais de gagner leur confiance, en me faisant leur complice.
« – Elle doit être encore en train d’attendre la fille, non ?
Si ça m’était arrivé, j’aurais supposé que tu étais aux urgences. Et je t’aurais cherché là, ou bien j’aurais patienté à la porte. »
Cela eut l’air de les calmer. Ils se regardèrent tous les deux, et une flambée d’espoir leur fit changer d’attitude. Le vilain grimaça même avec l’intention de sourire, cela le défigura tant, que j’ai baissé la tête pour ne pas regarder sa bouille de bouledogue.
Il se reprit néanmoins et se rapprocha de moi, comme s’il voulait me flairer. Je me suis reculée pour m’enfoncer presque derrière les coussins.
«  Pourquoi tu nous dis ça, toi ? Qu’est ce que tu y gagnes ?
– Moi ? Rien ! C’est juste que pour faire un coup tordu comme ça, vous devez avoir désespérément besoin d’argent. Et je me disais que si je vous aidais, vous pourriez être assez reconnaissants pour me laisser partir. Je ne demande rien de plus, seulement finir cette journée pourrie dans mon lit !
- Je ne te crois pas !
- Et tu crois quoi ? Que je veux partager la rançon avec vous ?
Il faudrait faire vite, au fait, avant que votre pigeon ne s’envole. »
Ils s’étaient tus et semblaient soupeser mes allégations. J’ai ajouté alors que je pouvais même les aider à la ferrer, à condition qu’ils me libèrent juste après.
Ils ne prirent pas le temps de se concerter, l’imbécile heureux agit avec méfiance cependant. Il me remit le bandeau sur les yeux, pour que je ne reconnaisse pas leur quartier, et dénoua la corde de mes chevilles. Ils me firent descendre, en me tenant de part et d’autre, par un escalier raide, et l’un d’eux m’expliqua qu’il devra me ligoter au siège arrière de ma voiture, pour que je ne tente rien. Il me couvrit d’une sorte de bâche, et m’assura qu’il me libérera dès qu’ils seront proches des abords de l’hôpital.
Nous sortîmes de ce qui me sembla être un parking souterrain, l’inclinaison de mon corps vers le fond de la banquette, me conforta dans cette idée. Puis les bruits de la circulation se firent entendre.

Je vous ai rapporté ici toute la conversation, mais elle ne s’est pas déroulée de cette manière exactement. Le langage utilisé par les deux malfrats était clairement moins élaboré que celui que j’ai transcrit, et beaucoup plus vulgaire et ordurier aussi. Mon jugement les concernant, était également bien plus sombre que les petits mots méchants que j’ai pu glisser ça et là.
Me voilà donc couchée sur le petit siège arrière de ma voiture (vous voyez la scène, c'est une deux portes), ballottée et cahotée en aveugle. J’avais l’impression d’être un mouton à la veille de l’Aïd qu’on ramène à la maison pour le sacrifice. Les sueurs froides commençaient à revenir, mon corps frissonnait, et mon cœur qui tambourinait de peur et de stress n’attendait qu’une occasion pour s’échapper de ma cage thoracique.
Après plusieurs minutes qui se sont éternisées pour moi, tellement mon état allait de mal en pis, nous nous sommes arrêtés enfin. J’ai entendu le chauve demander à son acolyte de bien regarder les voitures stationnées et j’en ai déduit que nous étions arrivés à destination.
On me retira la bâche, et deux mains se glissèrent à l’arrière pour couper mes liens.
« – Tu peux enlever ton bandeau et te rasseoir, m’a dit le cerveau de l’opération. Elle est encore là cette dinde !
Voyant que je ne réagissais pas vraiment, il s’est retourné vers moi.
En fait, par un effort surhumain, j’avais pu retirer le foulard. Mais mon corps était si tétanisé et ma respiration hiératique, que j’étais incapable de bouger plus.
- Merde ! dit-il, elle est en train de clamser, elle est toute bleue.
On ferait bien de foutre le camp maintenant qu’on a trouvé la bonne ! »
Ils descendirent précipitamment de la voiture et s’enfuirent rapidement.
Quant à moi, je suffoquais littéralement. Et le fait de ne pas retrouver mon aérosol dans mon sac ajoutait à mon état de panique.
A propos, vous avais-je dit que j’étais asthmatique ? 


Épisode 4 et épilogue.

J’ai rassemblé mes dernières forces pour rouler et tomber au sol. Une douleur éclatante explosa sur mon flanc. Pour quelle raison il y a toujours un truc bombé entre les deux places arrière ?
L’instinct de survie m’avait soufflé de regarder sous le siège avant. Et j’ai retrouvé enfin ma Ventoline qui était bien cachée, depuis mon épisode de tamponnade.
Après quelques bouffées, ma respiration a repris un bruit un peu plus humain que le râle gallinacé que je poussais. C’est alors que j’ai pensé à la malheureuse qui avait dû être kidnappée à son tour.
Comme je connaissais son nom et la marque de sa voiture, je n’avais qu’à appeler la police pour les prévenir et leur raconter ce qui m’était arrivé par la même occasion. Je prévoyais de téléphoner également l’entreprise Madani pour informer sa famille. Mais avant tout, je me suis assurée qu’il n’y avait pas de Mini-Cooper aux alentours.
J’ai débité mon histoire, enfin en résumé, et leur ai demandé de faire d’urgence un appel général à tous les policiers aux carrefours pour retrouver la voiture de mademoiselle Madani, qui avec un peu de chance, se trouvait encore dans la circulation et pouvait être interceptée rapidement.
Je sais, je regarde beaucoup les séries policières…
L’agent au bout de la ligne ne s’est pas démonté. Il m’a calmement fait savoir qu’il fera le nécessaire en temps voulu et qu’il prenait ma plainte au sérieux. Il s’est enquis de mon nom et de ma position, et m’a informé qu’une patrouille de police allait venir me chercher, pour que je puisse tout leur raconter de vive voix.
Cinq minutes plus tard (j’exagère un peu, ça devait être dix), je me suis retrouvée à l’arrière d’une fourgonnette de police qui roulait à tombeau ouvert vers le commissariat central. Mon sac serré sur les genoux, je jurais et pestais contre le mauvais sort qui m’avait fait lever ce jour, et celui surtout qui m’a soufflé l’idée de faire enlever le sabot de ma voiture.
Elle était bloquée ce matin… tous les signaux étaient rouges ! C’était comme si un ange gardien était passé et m’avait dit de ne pas me lever, de ne pas la prendre… alors pourquoi je me suis acharnée à la débloquer ?
Oui, oui, c’est bien d’un ange dont je parle. Qui d’autre aurait pu me rendre malade au point d’avoir du mal à me lever ce matin, qui a trafiqué l’ascenseur depuis plusieurs jours, et qui a enfin alerté les contrôleurs de Parking Sarl pour immobiliser ma voiture ?
J’exagère peut-être dans mon délire, mais je vous assure que moi, recroquevillée sur mon siège à côté de personnes, plus que louches, dans cette fourgonnette d’enfer, j’avais exactement cet état d’esprit.
Il y a toutes sortes d’anges et de diables qui nous veillent, et j’avais la certitude que les miens m’avaient donné toutes sortes d’alertes que je n’ai pas su décrypter. Pourtant j’avais expliqué aux policiers de la patrouille que c’était moi qui avais téléphoné pour reporter la possibilité d’un kidnapping. Mais ils ne voulaient rien entendre. Ils ne m’ont même pas permis de les suivre en voiture et ont prétendu que par mesure de sécurité ils préféraient que je sois avec eux. Soi-disant par crainte des ravisseurs.
On est arrivé au commissariat et ils ont descendu tout le monde, moi compris. J’ai bien cru qu’avec ma journée de malchance, on allait me confondre avec les malotrus menottés de ma banquette. Mais on m’a mis à l’écart, et conduit dans le bureau d’un inspecteur. Il s’est d’ailleurs présenté comme tel, et avec son visage maigre et pincé, sa moustache et sa chemise boutonnée jusqu’au col râpé, on ne pouvait pas le confondre avec un autre. Il était l’archétype des inspecteurs de police tels que je me les imaginais.
Après m’avoir réclamé ma pièce d’identité, il m’a demandé de raconter mon histoire. Ce que j’ai fait sans omettre aucun détail, du rapt bien sûr, et non de mes problèmes d’avant. Puis il a appelé un subordonné et lui a ordonné de transcrire ce que j'allais dire. Et j’ai dû relater une deuxième fois ma version. J’étais sous tension et ne comprenais pas pourquoi on me demandait de me répéter. L’inspecteur m’interrompait de temps en temps pour préciser de nouveaux détails, ou revenir sur le déroulement de l’histoire… et moi, qui commençais à m’empêtrer, à avoir des confusions. J’étais fatiguée, j’avais faim et soif, et avais réclamé un verre d’eau qui tardait à venir… je me sentais fiévreuse aussi, la tête en étau… Et les questions qui continuaient : pourquoi m’avait-on pris pour la fille Madani ? Pourquoi on m’avait relâché ? Est-ce que je connaissais mes ravisseurs ? Vous avez dit que l’un était souriant et avait un air sympathique au début, pourquoi avez-vous eu cette impression ? Etc., etc. ça n’en finissait pas.
J’ai bien essayé de lui glisser que l’urgence était de retrouver la fille, mais il m’a dit que je n’avais pas besoin de me préoccuper de ça, et que d’autres collègues s’en occupaient. Une fois que nous avons terminé l’interrogatoire, il m’a informé que je devais voir le commissaire avant de signer ma déposition. Son assistant m’a conduit donc à son bureau, et là de nouveau on me demanda de reprendre mon histoire depuis le début.
Je sais exactement à quel moment je me suis évanouie. En fait, j’étais assise sur cette chaise inconfortable et j’ai essayé d’ouvrir la bouche pour parler, mais les mots sont restés coincés. Mon gosier était si sec et ma langue lourde que ma respiration s’est arrêtée. Je me suis sentie ramollir, un rideau noir a commencé à voiler ma vue et je suis tombée à la renverse.
Au réveil j’étais dans une chambre d’hôpital, Docteur Tarik Rachdi à mon chevet.
« On peut dire que tu soignes tes entrées... Et que tu prends tout ton temps pour venir à tes rendez-vous, reprit-il, les yeux malicieux.
Tu es ce qu’on appelle une sorte d’héroïne, poursuivit-il devant mon air effaré. Tu as été ramenée dans une ambulance escortée par la police. »
Il me précisa également que le commissaire avait tenu à m’accompagner à l’hôpital, et qu’il lui avait raconté le fin mot de l’histoire. Nora Madani possédait un portable de la dernière génération, qui avait une application de géolocalisation. Son père, qui avait été rapidement contacté, avait proposé qu’on la retrouve par ce moyen, elle avait déjà fugué et il s'était depuis assuré d'activer cette fonction dans son téléphone. Le reste a été un jeu d’enfant. On a trouvé la fille encore endormie, et on l’a transportée aux urgences également. Elle était là encore, avec sa famille et ils souhaitaient me remercier, si je voulais bien les recevoir, me précisa-t-il.
J’ai acquiescé et regardé ma montre, 18 heures. Dieu merci, la journée est presque terminée, me suis-je rasséréné.
« A quelle heure je suis arrivée ici ?
- À 14 heures. Mais tu avais l’air tellement mal en point, que j’ai préféré te faire dormir un peu plus. J’en ai profité pour t’ausculter et procéder à toutes sortes d’examens et d’analyses. Rassure-toi, ce n’est qu’une mauvaise grippe. Je pense que les cauchemars que tu as eu cette nuit sont dus à la montée de fièvre. Les courbatures, la tachycardie et les maux de tête font partie des symptômes grippaux aussi. Je vais te prescrire également une crème à l’Arnica, il y a une grosse contusion sur ta hanche.
Tu peux rentrer chez toi ce soir même si tu le veux, conclut-il. Je sais que les chambres ici ne sont pas très confortables. »
La prudence m’a bien soufflé de rester, je me sentais encore malade et incapable de mettre un pied hors de cet hôpital. Il aurait été préférable que je finisse ma journée dans un environnement sécurisé, et quoi de mieux qu’un lit médicalisé. Mais je ne suis pas faite de ce bois, et puis je ne voulais pas me montrer faible et vulnérable devant les dents brillantes de mon médecin.
Il s’est proposé de me ramener chez moi dès qu’il aura fini son service, mais j’ai décliné poliment. Ma voiture était encore dehors, à la porte de l’hôpital. Il est parti appeler la famille Madani, en promettant de préparer rapidement ma feuille de sortie.

J’ai fait preuve d’une patience exemplaire. J’étais prête à subir les dernières foudres de cette journée maléfique. L’infirmière qui avait pris mes affaires à mon arrivée était déjà partie et on a cherché à la joindre pour lui demander dans quel casier elle les avait déposés. Une fois que j’ai récupéré mon sac et ma veste, j’ai dû attendre encore à l’accueil ma feuille de sortie et ma facture. Puis une fois le tout réglé, je suis sortie du bâtiment et j’ai reçu une trombe d’eau. L’orage avait éclaté une heure plus tôt, il pleuvait à verse. J’ai dû me dépêcher de traverser le jardin et les allées, devenues marécageuses, du CHU.
Il était neuf heures du soir et ma voiture avait disparu. Je vous assure, je ne l’ai pas trouvée.
Je suis revenue à la guérite de l’hôpital et un des vigiles m’a expliqué qu’après l’heure des visites, la dépanneuse récupère tous les véhicules stationnés pour les mettre à la fourrière. Question de sécurité.
J’ai été tentée de rappeler "Mon" docteur… vraiment… Mais ayant bien réfléchi à tous les déboires que j’avais eus depuis le matin, et l’état ou je me trouvais en ce moment, avec mes vêtements mouillés et de la boue jusqu’aux genoux, j’ai renoncé. Je lui aurais fait peur. J’ai donc pris un taxi, en priant très fort pour arriver saine et sauve.

Après un bain chaud, j’ai glissé sous ma couette, en savourant le bonheur de retrouver mes repères. J’avais auparavant allumé quelques bougies pour éloigner les mauvais esprits et mis un peu de musique douce.
Avant que le sommeil ne m’emporte, j'ai réalisé une chose. Plutôt deux : La première c’est que tout au long de la journée, et même après mon réveil à l’hôpital, je n’ai appelé personne pour m’aider : J’étais fière d’avoir pu m’en sortir toute seule.
La deuxième, c’est qu’étant d’une nature profondément optimiste, il me plaît de penser qu’on naît avec un nombre limité de choses positives et négatives à subir. Ma journée ayant explosé le compteur du mauvais, je sentais que j’étais parée pour quelques années au moins.
J’en ai conclu que tout n’était pas si terrible, puisque je me suis découvert un moral d’acier, et que seul mon corps suivait pas. Je me suis endormie pleine de résolutions, me promettant de commencer à faire du sport très bientôt.
Ceci étant, l’histoire aurait pu mieux se terminer si j’avais revu mon beau docteur. Que nenni !
J'ai appris qu'il allait se marier avec Nora Madani. Oui, cette garce en sac Gucci que j'ai sauvé des ravisseurs. Pire encore, je ne suis même pas invitée à leur mariage ! C'est pourtant grâce à moi qu'ils se sont connus. Non ?